Monday, May 26, 2008
Chicago
Finalement je n'ai vraiment pas le temps de raconter ma visite à Chicago, alors je vous mets simplement les photos: vous comprendrez que Chicago est une ville venteuse (les parapluies dans les poubelles); à l'architecture extraordinaire; qu'il y a des ghettos extrêmement pauvres mais le seul témoignage de cette pauvreté en centre ville ce sont les mendiants noirs; l'université de Chicago est un temple du savoir qui abrite une très belle collection d'archéologie du Moyen Orient et participe à la reconstruction du musée de Bagdad.




Sunday, May 18, 2008
Réfugiés iraqiens
Sunday, May 04, 2008
Le Joli mois de Mai
Le Premier Mai, journée des travailleurs, n'est pas un jour férié aux Etats Unis. Pourtant c'est le mouvement social américain qui nous l'a donné, se mettant en grève ce jour là dès 1884 pour obtenir la journée de 8h.
Les Américains qui ne font jamais rien comme les autres ont décidé que leur journée des travailleurs serait le 4 septembre, à la fin de l'été. Je pensais que cette décision venait de la guerre froide et d'un souci de se distinguer des communistes mais d'après Wikipedia, Labour Day est devenu un jour férié officiel dès 1894.
Les manifestations du Premier Mai ont pourtant repris de la vigueur aux Etats Unis, avec le mouvement contre la guerre et le mouvement des travailleurs sans-papiers. Depuis 2005 en particulier de grands cortèges se forment dans les rues des métropoles américaines. A Seattle il n'y avait "que" quelques centaines de manifestants, mais cela est déjà extraordinaire pour un pays qui ne connaît pas le droit de grève - je ne connais rien à l'histoire sociale américaine, les contributions de mes lecteurs sont plus que bienvenues (Irène ??); mais c'est un fait que les entreprises (et la plupart le font) peuvent stipuler dans le contrat d'embauche que la grève est interdite. Donc seuls ceux qui n'ont de toutes façons pas grand chose de plus à perdre (les sans papiers) et ceux qui ont un syndicats puissants peuvent descendre dans la rue. A Seattle la manifestation du Premier Mai était organisée par les dockers, et leur syndicat "International Longshore and Warehouse Union" ILWU composait au moins les trois quarts du cortège.
Le mot d'ordre était "No peace, no work" - pas de paix, pas de travail. ILWU est si puissant que tous les principaux ports de la côte ouest étaient fermés le Premier Mai, de Seattle à San Diego. Et ils ont même été soutenus par un débrayage de deux heures des travailleurs du port de Bassorah en Iraq. Les médias bien sûr ont à peine relayé l'information et on pouvait seulement lire dans le New York Times que l'action visait à établir un rapport de force entre le syndicat et l'un des principaux employeurs, Pacific Maritime Association, dans la perspective du renouvellement des contrats dans deux mois. Les participants étaient plus ou moins décrits comme de dangereux communistes ou d'inconscients anarchistes. Les discours étaient pourtant très clairs et très pragmatiques, faisant la liste notamment de ce qui pourrait être payé avec le montant de l'argent versé par l'Etat de Washington pour la guerre en Iraq : 25 000 bourses d'études; ou 15 000 assurances-maladie pour les enfants; tant de nouveaux professeurs pour les écoles etc.
Le cortège a défilé le long des docks de Seattle, une longue marche dans la zone industrielle, à l'écart du centre des affaires mais néanmoins visible depuis la rocade (des camions klaxonnaient en soutien). Et puis vu la présence policière ce n'était pas très discret: pour trouver le lieu de départ de la manifestation je n'avais qu'à viser l'hélico, et ensuite suivre la police montée, puis les rangées de flics gras en Harley Davidson, puis les files de flics sveltes en vtt, et enfin arriver au lieu des banderoles.
J'ai rencontré dans le cortège un jeune soldat militant de "IVAW"; vétérans d'Iraq contre la guerre, qui distribuait des prospectus pour l'événement "Winter Soldiers" à Seattle. Winter Soldiers, c'est cette manifestation des soldats du Viet Nam qui a permis la dénonciation des atrocités commises par l'armée américaine, des tortures et des massacres de civils ( c'est là que John Kerry est devenu célèbre). Les vétérans d'Iraq qui voulaient dénoncer la guerre ont repris l'idée et organisé une grande conférence dans le Maryland au mois de mars, pour décrire les combats, les méthodes de l'armée, et faire parvenir un autre message que celui des médias incorporés à l'appareil d'Etat. Bien sûr ces derniers n'ont pas fait mention de l'événement, qui a pourtant rassemblé des centaines et des centaines de personnes et révélé des témoignages exceptionnels. On peut les écouter sur Democracy Now (l'un des rares- et peut être le seul- média indépendant aux USA) et sur le site de IVAW.
Le jeune soldat avec qui je parlais n'avait pas vingt ans. Il s'était engagé dans l'armée en 2006 parce qu'il ne savait pas quoi faire en sortant du lycée. Il vient du Sud, de la Bible Belt, et il n'y a pas beaucoup d'opportunités là bas. En discutant, il tentait de se cacher derrière moi parce qu'il y avait trop de caméras, et il avait peur de retrouver sa photo dans une feuille de chou locale: en tant que soldat il n'est pas censé manifester. Il me raconte que dans sa brigade cinq sont morts dans des attaques à a bombe. Le commandement est nul. La guerre ne fait pas de sens. Il veut partir. C'est un peu compliqué, et risqué, il connaît des gens qui se cachent, d'autres qui sont partis au Canada. Lui aimerait aller en France, quand il aura fini son contrat, dans six mois. Entre temps il devra passer encore quatre mois en Iraq. Il aimerait venir témoigner pour le mouvement contre la guerre en France.
Saturday, April 26, 2008
Cultivons notre jardin
Je me répète, pour ceux qui suivent mon blog; et je parle trop souvent de la météo.. mais il faut dire qu'après des jours de pluie, de grèle et même de neige, revoir le soleil c'est un peu renaître.
Alors aujourd'hui tous ceux qui n'étaient pas dans les parcs à faire des barbecues tondaient la pelouse. En allant acheter des saucisses pour le petit déjeuner (de petites saucisses au sirop d'érable...) je suis tombée sur des fleurs en promo, je me suis dit : bon je ne vais pas à la prison aujourd'hui, je fais du jardinage. J'avais déjà planté à l'automne un cerisier Kwanza du Japon, qui s'est décidé enfin à fleurir (après tous ceux de l'université, sur les photos ci dessus) et me remplit de joie.
Et puis comme la perspective d'une pénurie alimentaire pointe à l'horizon, mais pas assez sérieusement aux Etats-Unis pour que je sois vraiment sérieuse dans mes choix agricoles, j'ai aussi planté du persil, du basilic et des carottes. Et aussi des tournesols offerts par le Dalai Lama pour faire grandir la compassion dans nos coeurs.
Entre cela et la lecture de Torture and Democracy par Darius Rejali (un livre pas très joyeux mais fascinant, une sorte d'encyclopédie des pratiques de torture "propre" développées par les régimes démocratiques. La mise à l'isolement en prison finalement ressemble beaucoup à cela...), je suis allée à un barbecue sur un bateau (il y a plein de gens qui habitent sur des bateaux, ou des maisons-bateaux boathouses sur les lacs de Seattle) et puis à un concert de Qawali, chants soufis pakistanais (les frères Shreh et Mehr Ali, et leurs fils), magnifique...
Un truc intéressant aussi pour les amateurs de Kurt Cobain: en allant à la prison de Stafford Creek la semaine dernière je suis passée par Aberdeen, une ville inintéressante au possible, déprimante, et dont le panneau d'acceuil à l'entrée dit "Come as you are". Je vous écris ça assise dans mon salon, à boire du mauvais vin californien, en écoutant Cody qui a entrepris d'enseigner la guitare à Sayeeda (je vous mets la photo mais probablement pas pour longtemps parce qu'elle va probablement hurler si elle découvre que j'ai fait ça...)
Thursday, April 17, 2008
Kader Attia

Je suis enfin allée voir l'exposition des oeuvres de Kader Attia, artiste français d'origine algérienne, à Henry Art Gallery, le petit musée d'art contemporain de l'université.
Kader Attia était en résidence à Seattle au mois de février - je n'ai pas pu assister au vernissage de l'exposition ni à sa présentation, et je le regrette car ses oeuvres sont d'une force et d'une poésie extraordinaires.
Le visiteur arrive par une passerelle qui surplombe une grande salle, où sont agenouillées de fragiles sculptures de papier aluminium. Ce sont des hommes en prière. Plus d'une centaine se recueillent dans leur corps frêle, le dos courbé devant l'immense lumière. Humble état de mortel. Et lorsqu'on descend au niveau de ces prieurs, que l'on s'approche de leur corps et de la ligne nette de la colonne vertébrale, leur visage surgit, immense vide, questionnant l'infini.
Dans la salle qui jouxte les hommes en prière se dressent des cubes blancs, massifs mais un peu chancelant, comme une forêt incertaine d'obstacles et de poésie. Les photographies de la plage d'Alger "Rochers Carrés" donnent une clé de lecture pour ce monument qui rappelle aussi bien le monument de l'holocauste à Berlin que les HLM en France. Il faut marcher entre les cubes et ressentir cette peur enfouie - cela va-t-il me tomber dessus, m'engloutir ?
Une autre installation : les sacs plastiques vides. Une poésie de l'ordinaire qui prend tout son sens avec le petit récit des promenades de l'artiste le soir à Paris, rencontrant des pauvres gens leur plastique vide à la main, venus attendre la distribution de la banque alimentaire. La simplicité évidente de ces quelques sacs exposés sur une table à tréteaux en bois.
Enfin, une vidéo. Belle et efficace. C'est un grand cube blanc formé de centaines de petits cubes de sucre. Un bâtiment. Un iceberg bien géométriques si vous voulez. Des jets de pétrole sont lancés sur le cube et créent de jolies taches noires. Jolies taches noires. Jolies taches noires. Jusqu'à ce que le cube imbibé de pétrole commence à chanceler, et un pan de l'édifice s'effondre. Le pétrole continue à couler. Passe à travers le sucre, ressurgit en dessous. Le cube tout entier s'effondre et les petits morceaux géométriques flottent sur la mare noire, en scintillant. Et c'est toujours en scintillant que peut à peu le sucre se dissout dans une purée infâme qui s'écoule par tous les bords.
Friday, April 11, 2008
Graines de Compassion
Je suis, avec ma copine Delphine, la voix du dalaï lama sur internet... nous traduisons les discussions de l'événement "Seeds of compassion" pendant les cinq prochains jours, à Seattle. Vous pouvez voir les vidéos sur le site de l'événement (cliquer sur français pour avoir ma voix; sur l'arabe pour avoir la voix de ma copine Amel; sur l'allemand pour avoir la voix de ma copine Lissy; il y a aussi russe, espagnol, amharic, italien, hébreu, penjabi, polonais, hindi, mandarin etc)
Merci de votre indulgence; nous ne sommes pas professionnels et la traduction simultanée c'est vraiment difficile. Bon et aussi ils ont mis les conversations off sur le site mais on n'a rien dit de non compassionnel alors ce n'est pas grave...
Et puis le soir Zied est venu avec sa chérie Américano-Tibétaine qui est chanteuse et qui nous a chanté le Tibet sera libre.... : l'écouter ici
Merci de votre indulgence; nous ne sommes pas professionnels et la traduction simultanée c'est vraiment difficile. Bon et aussi ils ont mis les conversations off sur le site mais on n'a rien dit de non compassionnel alors ce n'est pas grave...
Et puis le soir Zied est venu avec sa chérie Américano-Tibétaine qui est chanteuse et qui nous a chanté le Tibet sera libre.... : l'écouter ici
Wednesday, April 02, 2008
Utah
Utah, c'est le pays des Mormons, ou "LDS" (Last Day Saints). Le 21 septembre 1823, Joseph Smith (que son nom prédestinait à une existence exceptionnelle) reçut la révélation du dernier livre de la Bible et fonda la religion du nouveau monde. A vrai dire je ne sais pas trop ce qu'elle contient, à part ce qu'on en trouve sur wikipedia, les habituelles critiques de la polygamie, et les rumeurs concernant les dessous sacrés (sacred underwear - imaginez Mitt Romney en porte jarretelles bénis...).
Je n'ai pas appris grand chose lors de mon séjour à Salt Lake City, sinon que LDS avait beaucoup d'argent (un immense temple, un immense centre de conférence, un musée, une banque appelée "Zion Bank" etc) et que tous ceux qui n'étaient pas Mormons les haïssaient. Plutôt ruraux (on cache mieux ses multiples femmes à la campagne qu'en ville, disent les mauvaises langues) les Mormons sont une minorité à Salt Lake City, une ville démocrate dont le maire est réputé pour ses positions libérales (au sens américain; ie à gauche).
A part le grand temple des Mormons - dans lequel on ne peut pas entrer mais qui, selon la brochure distribuée par les gentilles volontaires chinoises, ressemble beaucoup à un hôtel de luxe à l'intérieur -, Salt Lake City est connue pour les Jeux (eh non, pas pour le lac; malgré mes demandes répétées je n'ai pas pu le voir : à chaque fois que j'ai mentionné le sujet on m'a répondu que le lac puait et était de toutes façons complètement inintéressant, et qu'il n'y avait bien que des Mormons pour avoir l'idée de construire une ville près d'un lac si salé que seules des crevettes rachitiques peuvent y survivre. Pour la petite histoire, ces crevettes font l'objet d'échanges économiques intéressants: envoyées en Asie pour nourrir des gambas renvoyées par delà l'océan pour le régal des riches Mormons dégustent dans leurs restaurants). Les Jeux donc; SLC est entourée de montagnes enneigées. Park City, à quelques miles, abrite une des plus grandes stations de ski des Etats Unis: un domaine skiable immense, qui donne vue sur toute la vallée.
Le sud de l'Etat, c'est le désert: un désert de roches sableuses, ocres beiges, jaunes et rouges; canyons et falaises; sculptures tracées par le temps et le mouvement terrestre; glaces oubliées à l'ombre des roches, sables cryptobiotiques.
Les vacances furent courtes mais j'ai pu faire du ski, grimper des falaises dans le désert, bronzer et peler et rebronzer et attraper un rhume dans le froid nocturne; lire To Kill a Mockingbird de Harper Lee; apprendre les mouvements de base du yoga avec David, un philosophe des bois, qui nous avait construit une sweatlodge l'été dernier, lit Nietzche en version originale et connaît tous les recoins du désert d'Escalante.
Friday, March 21, 2008
Birch - mon coloc musicien
Je ne vous ai jamais parlé de Birch ( "bouleau"; il porte le nom d'un arbre) dans mon blog et pourtant on vit ensemble. C'est mon coloc musicien au regard ténébreux qui joue de la contrebasse et compose. Il joue dans des groupes de styles très différents mais tous excellents. Pour l'instant il ne tourne qu'à Seattle, et un peu en Oregon d'où il est originaire. Mais il vient d'enregistrer un disque de jazz avec son groupe Cytosoul (écouter - vous pouvez même l'acheter sur itunes) et son groupe de funk prépare un disque aussi - regardez le clip: Birch c'est le joueur de basse aux sourcils épais.
Pour l'anecdote, le chanteur, Dawood, est dentiste le jour...
Birch - qui aime ça et doit aussi payer son loyer et ses factures d'électricité avec les pourboires qu'il reçoit dans les bars... - joue dans un troisième groupe Vunt Foom (celui qui devine ce que ça veut dire je lui offre un carambar) que j'ai vu hier soir; musique electro-jazz expérimentale. Ils jouaient dans un café qui ressemble à une grange, l'ambiance était chaleureuse, les patrons ont même apporté un gateau pour l'anniversaire d'un des musiciens; et un rappeur est venu les rejoindre pour quelques morceaux (au début c'était de la pure impro mais il aime le groupe alors il commence à venir régulièrement et il va peut être s'y intégrer ?). Bref j'assiste en direct à la naissance de la gloire... Je me demande parfois si je devrais voler les caleçons de Birch pour les revendre sur ebay dans quelques années... Petit message personnel à ces demoiselles, Birch est célibataire...
Et puis, comme on est dans le chapitre "musique", voici le lien pour un groupe hip hop très populaire à Seattle, les Blue Scholars
Pour l'anecdote, le chanteur, Dawood, est dentiste le jour...
Birch - qui aime ça et doit aussi payer son loyer et ses factures d'électricité avec les pourboires qu'il reçoit dans les bars... - joue dans un troisième groupe Vunt Foom (celui qui devine ce que ça veut dire je lui offre un carambar) que j'ai vu hier soir; musique electro-jazz expérimentale. Ils jouaient dans un café qui ressemble à une grange, l'ambiance était chaleureuse, les patrons ont même apporté un gateau pour l'anniversaire d'un des musiciens; et un rappeur est venu les rejoindre pour quelques morceaux (au début c'était de la pure impro mais il aime le groupe alors il commence à venir régulièrement et il va peut être s'y intégrer ?). Bref j'assiste en direct à la naissance de la gloire... Je me demande parfois si je devrais voler les caleçons de Birch pour les revendre sur ebay dans quelques années... Petit message personnel à ces demoiselles, Birch est célibataire...
Et puis, comme on est dans le chapitre "musique", voici le lien pour un groupe hip hop très populaire à Seattle, les Blue Scholars
Thursday, March 20, 2008
La question raciale
"race" c'est la race et la course, la course aux voix pour être nommé candidat et la couleur dans laquelle on imagine le/la futurE présidentE. Les journalistes ici sont les premiers à abonder dans les analyses raciologiques; avec le nombre de chaînes d'info en continu qui se partagent l'audimat américain, il faut bien parler de quelque chose. Et faute de prendre le temps de lire les programmes des candidat, les "analystes politiques"se jettent sur les sondages d'opinion, bien sûr toujours établi selon les catégories ethnico-raciales. Hillary jouit de la confiance des Latinos. Obama a finalement acquis le vote noir. Mais comme les résultats des urnes sont un peu plus complexes que cela (Obama a des résultats extraordinaires dans des Etats où les Noirs sont très peu représentés : Iowa, Washington, Wyoming etc.) on en arrive à des discussions complètement absurdes sur le fahttp://www.blogger.com/img/gl.link.gifit que Obama devance Hillary justement parce qu'il est noir et qu'il bénéficie du sentiment de culpabilité des démocrates blancs... C'est ce qu'une collaboratrice d'Hillary a déclaré la semaine dernière, déclenchant un vaste débat sur la question raciale. Les adversaires d'Obama, qui ont du mal à trouver les points faibles de ce "premier de la classe" charismatique, ont ressorti des enregistrements des sermons du pasteur Jeremiah Wright, ami proche d'Obama lequel fait partie de son église United Church of Christ. Comme dans toutes les églises noires à travers le pays, les sermons sont extrêmement politiques, et dénoncent tout aussi bien la pauvreté des Africains-Américains aux Etats Unis que les injustices de la politique internationale. Dans un des sermons les plus diffusés sur Youtube, Wright dit "Qui se préoccupe de ce qu'un pauvre noir doit affronter chaque jour dans un pays et une culture contrôlés par des riches blancs... Jesus était un pauvre noir dans un pays contrôlé par des blancs..."
(même si vous ne comprenez pas l'anglais, regardez la vidéo; la puissance rhétorique du pasteur est époustouflante).
Bon ce n'est pas un scoop de dire que les Noirs sont plus pauvres que les Blancs ici.. c'est juste terriblement politiquement incorrect de dire que les Blancs contrôlent tout. Dans un pays obnubilé par la race il n'est pas correct de parler de domination. On peut dire que les Noirs ont un taux d'échec élevé à l'école, et un taux de criminalité plus fort. On ne peut pas dire que les Blancs possèdent le capital et les médias. Ca fait communiste. Pire, le pasteur a eu le malheur de dire qu'il fallait peut être aussi questionner la politique américaine au Proche-Orient et reconsidérer l'alliance avec Israël - alors là les cheveux se dressent, tout le monde parle d'antisémitisme, comme si Wright disait de jeter les juifs à la mer.
Bref, faisant face à une crise majeure dans laquelle on demandait à Obama de désavouer son pasteur, le candidat démocrate a prononcé un discours extrêmement sage dans lequel il dénonce les excès de Wright, tout en disant que la frustration des Africains-Américains doit être comprise; de manière très intelligente, il dit que Wright a tort de souligner les aspects négatifs des Etats Unis à un moment où c'est l'unité qui est requise.
Il décrit par la suite les réalités des inégalités entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis; en rappelant que pour résoudre le problème de la pauvreté, de l'échec scolaire etc il faudra s'attaquer aux questions politiques.
"In the white community, the path to a more perfect union means acknowledging that what ails the African-American community does not just exist in the minds of black people; that the legacy of discrimination — and current incidents of discrimination, while less overt than in the past — are real and must be addressed, not just with words, but with deeds, by investing in our schools and our communities; by enforcing our civil rights laws and ensuring fairness in our criminal justice system; by providing this generation with ladders of opportunity that were unavailable for previous generations. It requires all Americans to realize that your dreams do not have to come at the expense of my dreams; that investing in the health, welfare and education of black and brown and white children will ultimately help all of America prosper.(...) Or, at this moment, in this election, we can come together and say, "Not this time." This time, we want to talk about the crumbling schools that are stealing the future of black children and white children and Asian children and Hispanic children and Native American children. This time, we want to reject the cynicism that tells us that these kids can't learn; that those kids who don't look like us are somebody else's problem. The children of America are not those kids, they are our kids, and we will not let them fall behind in a 21st century economy. Not this time.
Le discours est très bien écrit, comme la plupart des discours d'Obama; mais il n'a pas résolu le débat: beaucoup n'ont pas apprécié qu'il compare le racisme anti-blanc de son pasteur au racisme anti-noir de sa grand-mère (blanche). On attend les prochaines primaires en Pennsylvanie, avec une pincée d'inquiétude... Et même ceux qui ont la certitude qu'Obama sera élu sont inquiets : "le pauvre, il est mort. Je ne comprends même pas pourquoi il veut être président de ce pays. Il est trop bien pour les Etats-Unis. Tu sais ce qui est arrivé aux leaders noirs ici...bang"
(même si vous ne comprenez pas l'anglais, regardez la vidéo; la puissance rhétorique du pasteur est époustouflante).
Bon ce n'est pas un scoop de dire que les Noirs sont plus pauvres que les Blancs ici.. c'est juste terriblement politiquement incorrect de dire que les Blancs contrôlent tout. Dans un pays obnubilé par la race il n'est pas correct de parler de domination. On peut dire que les Noirs ont un taux d'échec élevé à l'école, et un taux de criminalité plus fort. On ne peut pas dire que les Blancs possèdent le capital et les médias. Ca fait communiste. Pire, le pasteur a eu le malheur de dire qu'il fallait peut être aussi questionner la politique américaine au Proche-Orient et reconsidérer l'alliance avec Israël - alors là les cheveux se dressent, tout le monde parle d'antisémitisme, comme si Wright disait de jeter les juifs à la mer.
Bref, faisant face à une crise majeure dans laquelle on demandait à Obama de désavouer son pasteur, le candidat démocrate a prononcé un discours extrêmement sage dans lequel il dénonce les excès de Wright, tout en disant que la frustration des Africains-Américains doit être comprise; de manière très intelligente, il dit que Wright a tort de souligner les aspects négatifs des Etats Unis à un moment où c'est l'unité qui est requise.
Il décrit par la suite les réalités des inégalités entre Blancs et Noirs aux Etats-Unis; en rappelant que pour résoudre le problème de la pauvreté, de l'échec scolaire etc il faudra s'attaquer aux questions politiques.
"In the white community, the path to a more perfect union means acknowledging that what ails the African-American community does not just exist in the minds of black people; that the legacy of discrimination — and current incidents of discrimination, while less overt than in the past — are real and must be addressed, not just with words, but with deeds, by investing in our schools and our communities; by enforcing our civil rights laws and ensuring fairness in our criminal justice system; by providing this generation with ladders of opportunity that were unavailable for previous generations. It requires all Americans to realize that your dreams do not have to come at the expense of my dreams; that investing in the health, welfare and education of black and brown and white children will ultimately help all of America prosper.(...) Or, at this moment, in this election, we can come together and say, "Not this time." This time, we want to talk about the crumbling schools that are stealing the future of black children and white children and Asian children and Hispanic children and Native American children. This time, we want to reject the cynicism that tells us that these kids can't learn; that those kids who don't look like us are somebody else's problem. The children of America are not those kids, they are our kids, and we will not let them fall behind in a 21st century economy. Not this time.
Le discours est très bien écrit, comme la plupart des discours d'Obama; mais il n'a pas résolu le débat: beaucoup n'ont pas apprécié qu'il compare le racisme anti-blanc de son pasteur au racisme anti-noir de sa grand-mère (blanche). On attend les prochaines primaires en Pennsylvanie, avec une pincée d'inquiétude... Et même ceux qui ont la certitude qu'Obama sera élu sont inquiets : "le pauvre, il est mort. Je ne comprends même pas pourquoi il veut être président de ce pays. Il est trop bien pour les Etats-Unis. Tu sais ce qui est arrivé aux leaders noirs ici...bang"
Sunday, March 02, 2008
de l'assistance et de la révolution- et les Maliens en France. Extraits.
Voici, avec la permission des auteurs, des extraits de réaction suscitées par mon dernier post sur mes problèmes avec ma famille de réfugiés iraqiens. Cela n'allait vraiment pas les deux dernières semaines mais je les ai vus aujourd'hui, nous sommes allés faire un barbecue dans un parc donnant sur la baie, avec deux autres familles iraqiennes et les deux jeunes interprètes dont j'ai du parler auparavant (ceux qui travaillaient pour l'armée américaine, ont été blessés en opération et ont obtenu refuge aux Etats-Unis. Curieusement cet après midi ils jouaient à faire peur aux enfants en les attrapant et en menaçant de les exécuter pour "collaboration avec les Américains". Une sorte de mimique sordide du sort qu'ils ont fuit. Les enfants n'aimaient pas trop mais les adultes riaient bien).
Je m'égare, voici donc les extraits de débat. Contribution d'Irène:
Il me semble qu'on a là un exemple d'exil au vrai sens du terme, et c'est bouleversant. J'imagine que la difficulté qu'ils éprouvent à travailler et à apprendre la langue provient en partie d'un sentiment de renoncement à leur identité: ils débarquent après tout dans le pays qui se pose comme l'antithèse même de leur propre "civilisation".... Ca doit faire mal; vu que toutes proportions gardées, j'ai ressenti/je ressens un peu ça moi-même....!
Concernant le travail social et sa proximité au pouvoir, j'ai souvent
resenti de la suspicion en écoutant parler ma pote Lesley, travailleur
social à Chicago et à LA qui s'occupe de réfugiés (j'avais déjà prévu
de vous présenter l'une à l'autre): je la trouve souvent d'une bien
grande naïveté, mais je commence à me dire que je me trompe un peu
quand même.
On retrouve là le grand problème de l'alternative entre la révolte et
la réforme: chercher à améliorer le statut concret des gens, n'est-ce
pas les insérer dans le système même qui les a réduit à leur position
d'infériorité? mais les individus peuvent-ils survivre de mots d'ordre
révolutionnaires -surtout quand la révolution n'est pas exactement à
l'ordre du jour?
A te lire, il me semble que Foucault a donc raison quand il décrit
l'essence des résistances au pouvoir: elles lui sont inextricablement
liées. Cf histoire de la sexualité:
"là où il y a pouvoir, il y a résistance et pourtant, ou par là-même,
celle-ci n'est jamais en position d'extériorité par rapport au pouvoir.
[...] Par définition, les résistances ne peuvent exister que dans le champ
stratégique des relations de pouvoir. [...] Mais cela ne veut pas dire
qu'elles n'en sont que le contrecoup, formant par rapport à l'essentielle
domination un envers toujours passif, voué à l'infinie défaite. Les
résistances ne relèvent pas de quelques principes hétérogènes;mais elles e
sont pas pour autant leurre ou promesse nécessairement déçue. [...] C'est
sans doute le codage stratégique de ces points de résistance qui rend
possible une révolution, un peu comme l'Etat repose sur l'intégration
institutionnelle des rapports de pouvoir".
Contribution de Maël :
Intéressant ton blog sur les réfugiés... Bon avec mes amis amis maliens analphabètes je n'ai pas vu de situation similaire, because ils ont pas de papier et donc ne peuvent pas toucher d'aide, et ceux qui ont des papiers que je connais travaillent tous... En attendant de trouver un travail (et ça peut-être très long), ils sont nourris par les gens de leur village qui les accueillent, du moins ça se passait comme ça dans les anciens foyers... La mentalité des Maliens d'ailleurs en général c'est plutôt 'ici on aime pas les fainéants', il y a une forte discipline interne à la communauté surtout à l'égard des jeunes nouveaux arrivants (ça c'est une amie qui a fait son mémoire de socio sur un foyer qui me l'a dit), et ils aiment bien se foutre de la gueule des français en les traitant de fainéants et d'assistés :-) En général ils ne refusent pas de boulot parce que c'est sale, fatiguant et que c'est à dix heures de bus, puisque c'est le cas d'une large partie de mes élèves, presque tous joyeux travailleurs de force dans le batiment...
Quant au problème des gens qui s'enfoncent dans l'assistanat et le désespoir par la même occasion, c'est le vrai putain de problème. Tes Iraquiens ont l'air du prototype des gens qui s'enfoncent dans l'inaction et le ressentiment par désespoir, et ça fait de la peine à lire... C'est sans doute précisement parce qu'ils se sentent humiliés d'avoir à demander de l'aide qu'ils s'enfoncent dans cette pose sans espoir...
voilà pour la psycho à deux balles... je comprends tes remords à ressortir le mythe de l'américain from rags to riches, comme je comprends que moralement, sinon politiquement, c'est quand même mieux de dire aux gens d'essayer d'y croire et de s'en sortir dans un pays quand même pas complètement bloqué plutôt que de dire "eh oui d'après mes statistiques vous avez 70% de chances de finir alcoolique et misérable..."
Même chose pour l'humanitaire d'ailleurs. j'ai tendance comme sans doute tes anthropologues a avoir un haut le coeur face à la bonne conscience pseudo-apolitique de nombreuses entreprises humanitaires, surtout quand ça vire à la kouschnerite du type 'envoyons des bombes puis la croix-rouge au nom du droit d'ingérence, et tout ira mieux...' Ceci dit, si on qualifie la boite où je bosse d'humanitaire (ce que ni moi ni aucun des membres ne fait d'ailleurs), je vois mal comment nous serions au service d'un appareil d'état qui travaille à précariser les gens alors que nous travaillons pour leur intégration et leur régularisation (on fait aussi les papelards, l'assistance aux gens en voie d'expulsion par témoignage et aide juridique et ce genre de choses)... j'ai bien conscience que ce genre d'action n'a pas une portée immense, mais je demande en quoi une légitimation du discours subalterne faite dans un colloque d'anthropologues en auraient une, surtout quand elle n'est pas lue ni surtout faite pour être lue par ceux qu'elle est censée concernée (là, c'est l'"humanitaire" contre-attaque...) Personnellement j'ai été heureux de participer à ce genre d'action parce que je préférais me dire que j'avais fait quelque chose avec des vrais gens en allant les voir pour de vrai plutôt que de faire un débat politique entre normaliens en me disant que ça allait changer le pays... mais ce n'est pas une position non plus complètement satisfaisante...
Quant à la question générale de l'assistanat et du 'quand les gentils misérables sont moins jolis en vrais que sur la photo', c'est une question tellement difficile que j'ai peur de pas avoir grand-chose à dire là-dessus... Encore une fois je pense que tu as bien fait de dire ce que tu leur a dit, même si ça la fout a priori un peu mal avec tes principes politiques, parce que c'est une meilleure réaction morale face aux gens de dire ça plutôt que de se dire en soi "super, je vais pouvoir marquer ça dans ma thèse de socio"... En tant qu'intellos on a tous nos belles théories sur la société et la politique, surtout toi évidemment qui travaille en sciences sociales, mais je pense qu'il faut se dire une bonne chose là-dessus : une théorie qui mène à ne rien dire ou à assommer les gens qui besoin d'aide ici et maintenant, sous prétexte que ça serait de l'humanitaire complice de l'appareil d'état ou de la confirmation indue des mythes de réussite de la société libérale que de tenir des propos pour leur botter le cul, ce n'est pas une bonne théorie, et ça a même un autre nom : c'est de la branlette pour de petits trous du cul d'universitaires (ça, tu pourras la caser dans ton prochain coloc de socio).
(suite)
je voudrais encore ajouter deux trois petites choses, que tu peux mettre dans le post si tu veux ou non, c'est juste que j'aimerais bien continuer la discussion.
D'abord j'aimerais dire que certains Maliens, même clandestins, s'en tirent pas si mal que ça. C'est important de le dire je pense parce que donner une image systématiquement misérabiliste de l'immigration, ça a pour effet pervers de confirmer certaines personnes dans l'idée que l'intégration est impossible parce que trop difficile concrètement. Bon socialement parlant ils ne sont pas vraiment intégrés, ils vivent avec la menace de l'expulsion et doivent supporter des séparations très longues avec leur famille, sans jamais savoir quand ça va cesser (un de mes potes va aborder sa septième année sans voir sa famille, il n'a pas pu être là pour l'enterrement de son père ou de son petit frère, un élève d'un autre prof a quitté sa femme et sa fille il y a 8 ans...), mais économiquement certains s'en tirent pas mal, par exemple en devenant OQ dans le bâtiment, ce qui est très faisable avec le manque d'ouvriers structurel dans le secteur et la formation interne qui en résulte, avec un salaire dépassant facilement 2000-2100 euros par mois. Bon le travail est dur de l'avis général et ils ont charge de famille, mais bon ils sont quand même au-dessus du salaire médian des français, et franchement si tous les ouvriers étaient payés comme ça la France serait un pays de cocagne (avec les prix de la suisse, bon...) Parfois c'est bizarrement en passant par des secteurs réputés pourris qu'on a des opportunités, précisement parce que la fuite des français dit de souche (elle est pas belle ma souche ?) créé un manque de personnel qui créé des ouvertures... C'est pour moi un argument massue pour la régularisation des immigrés en France : certains secteurs comme le batiment sont en déficit chronique de main d'oeuvre alors que la main d'oeuvre immigrée y est déjà archisurreprésentée (95% de main d'oeuvre étrangère chez Bouygues Paris, ça ne s'invente pas...), les immigrés sont près à travailler là-dedans et en plus ce n'est pas forcément un plan d'exploitation généralisé, puisqu'on peut former les gens et leur offrir des salaires décents. En régularisant, on ne ferait qu'avoir la dignité de reconnaitre le rôle positif que l'immigration continue à jouer dans ce pays, et qu'elle va continuer à jouer : tu imagines une entreprise du nettoyage ou du batiment fonctionnant à Paris sans main d'oeuvre immigrée, et même plus précisement sans main d'oeuvre clandestine ? Tu peux aussi bien leur demander de mettre la clé sous la porte. Alors que demande le peuple ? Sarkozy, parce que l'insécurité et le désordre, c'est la faute aux bougnoules. La politique, parfois, c'est à se flinguer.
(j'ai coupé la suite sur les problèmes du jargon universitaire, non par censure mais parce que c'est un autre sujet... Si ça intéresse d'autres personnes Mael et moi pourrons rendre cette discussion publique aussi...)
Vos contributions sont les bienvenues.
Pour ma part je crois qu'entre les immigrés Maliens de France et les réfugiés iraqiens des Etats Unis, il y a la limite parfois floue entre immigration et asile; mais aussi le gouffre des positions sociales antérieures. Jenane, la mère de ma famille iraqienne, n'a jamais eu besoin de travailler. Elle venait d'une famille classe moyenne, sans plus mais loin de la précarité, elle s'est mariée, elle a eu des enfants, s'est occupée de ses enfants sans avoir à craindre pour l'avenir jusqu'à la guerre. Elle perd tout; finalement elle obtient avec sa famille l'asile aux Etats Unis, superpuissance "om al'alam" et croit voir la fin de son inquiétude, et découvre que non seulement elle va devoir travailler, mais elle va devoir travailler dans le bas de l'échelle, et sans aucune sécurité. Tomber enceinte n'était pas vraiment une manoeuvre calculée mais cela lui permet, au moins, de maintenir une source de revenus garantie le temps de sa grossesse...
Je m'égare, voici donc les extraits de débat. Contribution d'Irène:
Il me semble qu'on a là un exemple d'exil au vrai sens du terme, et c'est bouleversant. J'imagine que la difficulté qu'ils éprouvent à travailler et à apprendre la langue provient en partie d'un sentiment de renoncement à leur identité: ils débarquent après tout dans le pays qui se pose comme l'antithèse même de leur propre "civilisation".... Ca doit faire mal; vu que toutes proportions gardées, j'ai ressenti/je ressens un peu ça moi-même....!
Concernant le travail social et sa proximité au pouvoir, j'ai souvent
resenti de la suspicion en écoutant parler ma pote Lesley, travailleur
social à Chicago et à LA qui s'occupe de réfugiés (j'avais déjà prévu
de vous présenter l'une à l'autre): je la trouve souvent d'une bien
grande naïveté, mais je commence à me dire que je me trompe un peu
quand même.
On retrouve là le grand problème de l'alternative entre la révolte et
la réforme: chercher à améliorer le statut concret des gens, n'est-ce
pas les insérer dans le système même qui les a réduit à leur position
d'infériorité? mais les individus peuvent-ils survivre de mots d'ordre
révolutionnaires -surtout quand la révolution n'est pas exactement à
l'ordre du jour?
A te lire, il me semble que Foucault a donc raison quand il décrit
l'essence des résistances au pouvoir: elles lui sont inextricablement
liées. Cf histoire de la sexualité:
"là où il y a pouvoir, il y a résistance et pourtant, ou par là-même,
celle-ci n'est jamais en position d'extériorité par rapport au pouvoir.
[...] Par définition, les résistances ne peuvent exister que dans le champ
stratégique des relations de pouvoir. [...] Mais cela ne veut pas dire
qu'elles n'en sont que le contrecoup, formant par rapport à l'essentielle
domination un envers toujours passif, voué à l'infinie défaite. Les
résistances ne relèvent pas de quelques principes hétérogènes;mais elles e
sont pas pour autant leurre ou promesse nécessairement déçue. [...] C'est
sans doute le codage stratégique de ces points de résistance qui rend
possible une révolution, un peu comme l'Etat repose sur l'intégration
institutionnelle des rapports de pouvoir".
Contribution de Maël :
Intéressant ton blog sur les réfugiés... Bon avec mes amis amis maliens analphabètes je n'ai pas vu de situation similaire, because ils ont pas de papier et donc ne peuvent pas toucher d'aide, et ceux qui ont des papiers que je connais travaillent tous... En attendant de trouver un travail (et ça peut-être très long), ils sont nourris par les gens de leur village qui les accueillent, du moins ça se passait comme ça dans les anciens foyers... La mentalité des Maliens d'ailleurs en général c'est plutôt 'ici on aime pas les fainéants', il y a une forte discipline interne à la communauté surtout à l'égard des jeunes nouveaux arrivants (ça c'est une amie qui a fait son mémoire de socio sur un foyer qui me l'a dit), et ils aiment bien se foutre de la gueule des français en les traitant de fainéants et d'assistés :-) En général ils ne refusent pas de boulot parce que c'est sale, fatiguant et que c'est à dix heures de bus, puisque c'est le cas d'une large partie de mes élèves, presque tous joyeux travailleurs de force dans le batiment...
Quant au problème des gens qui s'enfoncent dans l'assistanat et le désespoir par la même occasion, c'est le vrai putain de problème. Tes Iraquiens ont l'air du prototype des gens qui s'enfoncent dans l'inaction et le ressentiment par désespoir, et ça fait de la peine à lire... C'est sans doute précisement parce qu'ils se sentent humiliés d'avoir à demander de l'aide qu'ils s'enfoncent dans cette pose sans espoir...
voilà pour la psycho à deux balles... je comprends tes remords à ressortir le mythe de l'américain from rags to riches, comme je comprends que moralement, sinon politiquement, c'est quand même mieux de dire aux gens d'essayer d'y croire et de s'en sortir dans un pays quand même pas complètement bloqué plutôt que de dire "eh oui d'après mes statistiques vous avez 70% de chances de finir alcoolique et misérable..."
Même chose pour l'humanitaire d'ailleurs. j'ai tendance comme sans doute tes anthropologues a avoir un haut le coeur face à la bonne conscience pseudo-apolitique de nombreuses entreprises humanitaires, surtout quand ça vire à la kouschnerite du type 'envoyons des bombes puis la croix-rouge au nom du droit d'ingérence, et tout ira mieux...' Ceci dit, si on qualifie la boite où je bosse d'humanitaire (ce que ni moi ni aucun des membres ne fait d'ailleurs), je vois mal comment nous serions au service d'un appareil d'état qui travaille à précariser les gens alors que nous travaillons pour leur intégration et leur régularisation (on fait aussi les papelards, l'assistance aux gens en voie d'expulsion par témoignage et aide juridique et ce genre de choses)... j'ai bien conscience que ce genre d'action n'a pas une portée immense, mais je demande en quoi une légitimation du discours subalterne faite dans un colloque d'anthropologues en auraient une, surtout quand elle n'est pas lue ni surtout faite pour être lue par ceux qu'elle est censée concernée (là, c'est l'"humanitaire" contre-attaque...) Personnellement j'ai été heureux de participer à ce genre d'action parce que je préférais me dire que j'avais fait quelque chose avec des vrais gens en allant les voir pour de vrai plutôt que de faire un débat politique entre normaliens en me disant que ça allait changer le pays... mais ce n'est pas une position non plus complètement satisfaisante...
Quant à la question générale de l'assistanat et du 'quand les gentils misérables sont moins jolis en vrais que sur la photo', c'est une question tellement difficile que j'ai peur de pas avoir grand-chose à dire là-dessus... Encore une fois je pense que tu as bien fait de dire ce que tu leur a dit, même si ça la fout a priori un peu mal avec tes principes politiques, parce que c'est une meilleure réaction morale face aux gens de dire ça plutôt que de se dire en soi "super, je vais pouvoir marquer ça dans ma thèse de socio"... En tant qu'intellos on a tous nos belles théories sur la société et la politique, surtout toi évidemment qui travaille en sciences sociales, mais je pense qu'il faut se dire une bonne chose là-dessus : une théorie qui mène à ne rien dire ou à assommer les gens qui besoin d'aide ici et maintenant, sous prétexte que ça serait de l'humanitaire complice de l'appareil d'état ou de la confirmation indue des mythes de réussite de la société libérale que de tenir des propos pour leur botter le cul, ce n'est pas une bonne théorie, et ça a même un autre nom : c'est de la branlette pour de petits trous du cul d'universitaires (ça, tu pourras la caser dans ton prochain coloc de socio).
(suite)
je voudrais encore ajouter deux trois petites choses, que tu peux mettre dans le post si tu veux ou non, c'est juste que j'aimerais bien continuer la discussion.
D'abord j'aimerais dire que certains Maliens, même clandestins, s'en tirent pas si mal que ça. C'est important de le dire je pense parce que donner une image systématiquement misérabiliste de l'immigration, ça a pour effet pervers de confirmer certaines personnes dans l'idée que l'intégration est impossible parce que trop difficile concrètement. Bon socialement parlant ils ne sont pas vraiment intégrés, ils vivent avec la menace de l'expulsion et doivent supporter des séparations très longues avec leur famille, sans jamais savoir quand ça va cesser (un de mes potes va aborder sa septième année sans voir sa famille, il n'a pas pu être là pour l'enterrement de son père ou de son petit frère, un élève d'un autre prof a quitté sa femme et sa fille il y a 8 ans...), mais économiquement certains s'en tirent pas mal, par exemple en devenant OQ dans le bâtiment, ce qui est très faisable avec le manque d'ouvriers structurel dans le secteur et la formation interne qui en résulte, avec un salaire dépassant facilement 2000-2100 euros par mois. Bon le travail est dur de l'avis général et ils ont charge de famille, mais bon ils sont quand même au-dessus du salaire médian des français, et franchement si tous les ouvriers étaient payés comme ça la France serait un pays de cocagne (avec les prix de la suisse, bon...) Parfois c'est bizarrement en passant par des secteurs réputés pourris qu'on a des opportunités, précisement parce que la fuite des français dit de souche (elle est pas belle ma souche ?) créé un manque de personnel qui créé des ouvertures... C'est pour moi un argument massue pour la régularisation des immigrés en France : certains secteurs comme le batiment sont en déficit chronique de main d'oeuvre alors que la main d'oeuvre immigrée y est déjà archisurreprésentée (95% de main d'oeuvre étrangère chez Bouygues Paris, ça ne s'invente pas...), les immigrés sont près à travailler là-dedans et en plus ce n'est pas forcément un plan d'exploitation généralisé, puisqu'on peut former les gens et leur offrir des salaires décents. En régularisant, on ne ferait qu'avoir la dignité de reconnaitre le rôle positif que l'immigration continue à jouer dans ce pays, et qu'elle va continuer à jouer : tu imagines une entreprise du nettoyage ou du batiment fonctionnant à Paris sans main d'oeuvre immigrée, et même plus précisement sans main d'oeuvre clandestine ? Tu peux aussi bien leur demander de mettre la clé sous la porte. Alors que demande le peuple ? Sarkozy, parce que l'insécurité et le désordre, c'est la faute aux bougnoules. La politique, parfois, c'est à se flinguer.
(j'ai coupé la suite sur les problèmes du jargon universitaire, non par censure mais parce que c'est un autre sujet... Si ça intéresse d'autres personnes Mael et moi pourrons rendre cette discussion publique aussi...)
Vos contributions sont les bienvenues.
Pour ma part je crois qu'entre les immigrés Maliens de France et les réfugiés iraqiens des Etats Unis, il y a la limite parfois floue entre immigration et asile; mais aussi le gouffre des positions sociales antérieures. Jenane, la mère de ma famille iraqienne, n'a jamais eu besoin de travailler. Elle venait d'une famille classe moyenne, sans plus mais loin de la précarité, elle s'est mariée, elle a eu des enfants, s'est occupée de ses enfants sans avoir à craindre pour l'avenir jusqu'à la guerre. Elle perd tout; finalement elle obtient avec sa famille l'asile aux Etats Unis, superpuissance "om al'alam" et croit voir la fin de son inquiétude, et découvre que non seulement elle va devoir travailler, mais elle va devoir travailler dans le bas de l'échelle, et sans aucune sécurité. Tomber enceinte n'était pas vraiment une manoeuvre calculée mais cela lui permet, au moins, de maintenir une source de revenus garantie le temps de sa grossesse...
Monday, February 25, 2008
Lénine
Pour compenser la gravité du message précédent: voici une photo du Lénine de Fremont, le quartier des artistes de Seattle, décoré pour les fêtes de Noël. La statue a été achetée dans une des ex-républiques soviétiques au moment de son déboulonnage et transportée à Seattle aux frais de l'association des artistes du quartier. Enfin je raconte l'histoire de mémoire, les lecteurs accidentels de ce blogs qui seraient mieux informés sont chaleureusement invités à contribuer.
Sunday, February 24, 2008
S'installer à Seattle... quand on n'a pas vraiment choisi
Seattle ces derniers jours avait des couleurs printanières. Le soleil brillait, il faisait doux même, les montagnes étaient tellement belles, j'étais allée skier avec mes amis, écouter de la musique et danser le quadrille avec Cody, et j'ai même passé le dimanche sur la terrasse à lire Fanon.
Je ne suis pas allée voir ma famille de réfugiés iraqiens cette semaine. La semaine dernière, quand j'ai appelé à l'heure habituelle le dimanche ils m'ont dit qu'ils sortaient, qu'ils allaient voir leurs voisins. J'étais un peu vexée, me disant qu'ils voyaient leurs voisins tous les jours et que moi je ne venais qu'une fois par semaine. Je crois qu'ils en ont eu assez que je leur répète qu'ils ne pouvaient pas vivre sur l'aide sociale, que de toutes façons elle allait leur être suspendue sous peu et que, vraiment, ils devraient accepter le travail qu'on leur propose, même si c'est sale et fatigant. J., la mère, est celle qui parle le mieux anglais, mais elle n'a jamais travaillé et ne veut pas nettoyer les chiottes des hôtels de l'aéroport. Le père, lui, dit être prêt à faire à peu près n'importe quoi mais il sait à peine dire son nom en anglais alors il n'est pas très employable. Jenane voudrait étudier pour être assistante médicale. Elle prend des cours pour cela. Je l'encourage, un peu dubitative toutefois: qui paye ? C'est aux frais du gouvernement.
- (moi) Vraiment ?
- (la mère) Oui, c'est un prêt, on rembourse après.
- (moi) Mais avec quoi vous allez vivre en attendant ?
- (la mère) Ben, avec l'aide sociale.
- (moi) Ce n'est pas possible, il faut que quelqu'un travaille dans la maison.
- (le père) Alors c'est cela les Etats Unis, on n'a pas le droit d'apprendre ?
- (moi) Mais enfin, qui paye ? ce sont les impôts des gens... ce n'est pas accepté aux Etats-Unis de financer ses études avec l'aide sociale ! les étudiants travaillent.
- (le père) Si j'avais su vraiment, on ne serait jamais venus aux Etats Unis !
- (moi) Oh, ça suffit, je ne veux plus entendre ce genre de commentaire. C'est un pays extraordinaire, d'accord le système de santé n'est pas le meilleur mais il y a beaucoup d'opportunités ici. Tu commences par nettoyer les toilettes de l'hôtel, et quelques années plus tard tu es le patron de l'hôtel (et intérieurement: mon Dieu qu'est ce que je débite comme âneries... suis-je vraiment obligée de perpétuer ce mythe absurde du self made man américain et de l'ascension sociale fulgurante pour les inciter à donner un coup de talon au fond de la mare de désespoir où ils s'embourbent? mais comment leur donner envie de remonter un peu à la surface sans essayer de les convaincre de ses illusions, pour qu'ils essaient au moins... ils n'ont rien à perdre... c'est en restant à ruminer leurs remords qu'ils vont tout perdre...)
- (le père) Oui pardon... mais tu vois si on avait pu aller en Australie, toute la famille est en Australie. C'est mille fois mieux là bas. Le gouvernement donne plus d'argent. Ici on n'a même pas de quoi vivre. Toute l'aide sociale part dans le loyer. Le reste on l'achète avec des coupons d'alimentation - je regarde leur télé immense, qui fait quatre fois la taille de la mienne. Je me rattrape: ils ne l'ont pas achetée, ils l'ont récupérée d'un voisin qui s'était acheté un écran plat pour Noël; pareil pour l'ordinateur; mais je ne peux m'empêcher de penser qu'ils ne vivent pas dans l'état de dénuement matériel que l'on attend de réfugiés. En fait, leur problème principal, c'est qu'ils ne correspondent pas au stéréotype du réfugié misérable. Ils n'étaient pas misérables en Iraq, et, dans leurs premières années d'exil en Syrie, ils ne se débrouillaient pas trop mal, ils ont épuisé leurs économies mais maintenu un niveau de vie décent.
Suite de mon monologue intérieur: j'ai l'impression de me trahir politiquement par les propos que je tiens au père. Ne suis-je pas en train de lui demander de se conformer au modèle américain de société néolibérale ? Quel type de pouvoir impose-t-on aux gens quand on veut les aider ? La bonne volonté excuse-t-elle tout ? D'un autre côté, la position éthique du respect de l'autre est-elle toujours tenable sur le plan pratique? Les anthropologues ont beau jeu de critiquer les institutions humanitaires, les comparant à l'entreprise ou à des suppôts de l'appareil d'Etat. Toujours est-il que ce n'est pas vraiment en consacrant la légitimité du discours "subalterne" qu'on aide des réfugiés à s'adapter à la société dans laquelle, bon gré mal gré, ils vont bien devoir vivre...
Clash of expectations. C'est ainsi que j'explique leur problème. De mon point de vue, l'association qui s'occupe de leur installation n'est ni naïve ni dysfonctionnelle. Un programme bien rodé d'assistance sociale et de tutorat éducatif prévoit d'accompagner les réfugiés pendant deux ou trois mois, au terme desquels ils doivent trouver un emploi et progressivement se suffire à eux-même. 16 heures de cours d'anglais par semaine, des ateliers d'aide à la rédaction de cv et de préparation à l'entretien d'embauche, d'excellentes connexions avec tout un réseau associatif local et des employeurs (en premier lieu, l'aéroport). Mais, comme me l'expliquait une des assistantes sociales de l'association, ça ne marche pas avec les Iraqiens. Ca marche très bien avec les Somaliens, les Birmans, mais pas avec les Iraqiens. Ils se plaignent toujours et refusent les boulots qu'on leur propose. Elle me cite le cas de H., un jeune homme qui était traducteur pour l'armée américaine. Grièvement blessé au cours d'une attaque, il a passé plusieurs mois en Jordanie, à l'hôpital, et continue de recevoir des traitements ici. Il a l'air fringant cependant, tout à fait apte à travailler. Mais il a de grandes attentes. Il ne fera pas n'importe quoi. Il aimerait enseigner l'arabe dans le camp d'entraînement militaire de Fort Lewis, mais c'est un peu loin et il n'a pas de voiture. Il n'est pas prêt à faire trois heures de bus par jour pour aller travailler là bas. Et puis il aimerait faire des études aussi et avoir une position sociale respectable aux Etats-Unis. Il a un ton fortement vindicatif qui tend à déteindre sur les autres. Aussi m'a-t-il semblé qu'au cours des semaines ma famille devenait de plus en plus cynique. Le père, lui, n'est pas du tout favorable à l'occupation américaine en Iraq; il n'en parle pas trop mais de son point de vue les Etats Unis lui doivent une compensation pour lui avoir aliéné sa patrie, pour avoir bouleversé son pays au point qu'il en devienne étranger. Et il ne veut pas y rester.
- (le père) Tu sais si on a le droit de voyager ?
- (moi) Je ne sais pas ce que vous avez comme papiers, mais je crois que oui... Tu veux aller où ?
- (le père) En Australie
- (moi) Oui mais il faut payer le billet d'avion...
- (le père) Eux ils resteront ici, moi j'irai travailler en Australie. Non je ne sais pas. Enfin la mort c'est la solution.
- (moi) Il ne faut pas dire ça. Vous avez un bel avenir aux Etats Unis. Regarde tes enfants vont à l'école, toi tu vas trouver un travail et tout ira bien !
- (le père) Mais je ne peux pas parler anglais, ça ne rentre pas !
- (moi) Mais si ! Et puis Seattle est une belle ville...
- (le père) on n'a même pas l'occasion de la voir.
Alors ce dimanche je me suis dit: pour leur redonner un peu d'énergie et leur faire aimer Seattle, je vais les emmener en promenade sous ce soleil magnifique. A ma proposition, la mère me répond qu'elle ne veut pas sortir, elle ne se sent pas bien. Elle est peut être enceinte.
Je ne suis pas allée voir ma famille de réfugiés iraqiens cette semaine. La semaine dernière, quand j'ai appelé à l'heure habituelle le dimanche ils m'ont dit qu'ils sortaient, qu'ils allaient voir leurs voisins. J'étais un peu vexée, me disant qu'ils voyaient leurs voisins tous les jours et que moi je ne venais qu'une fois par semaine. Je crois qu'ils en ont eu assez que je leur répète qu'ils ne pouvaient pas vivre sur l'aide sociale, que de toutes façons elle allait leur être suspendue sous peu et que, vraiment, ils devraient accepter le travail qu'on leur propose, même si c'est sale et fatigant. J., la mère, est celle qui parle le mieux anglais, mais elle n'a jamais travaillé et ne veut pas nettoyer les chiottes des hôtels de l'aéroport. Le père, lui, dit être prêt à faire à peu près n'importe quoi mais il sait à peine dire son nom en anglais alors il n'est pas très employable. Jenane voudrait étudier pour être assistante médicale. Elle prend des cours pour cela. Je l'encourage, un peu dubitative toutefois: qui paye ? C'est aux frais du gouvernement.
- (moi) Vraiment ?
- (la mère) Oui, c'est un prêt, on rembourse après.
- (moi) Mais avec quoi vous allez vivre en attendant ?
- (la mère) Ben, avec l'aide sociale.
- (moi) Ce n'est pas possible, il faut que quelqu'un travaille dans la maison.
- (le père) Alors c'est cela les Etats Unis, on n'a pas le droit d'apprendre ?
- (moi) Mais enfin, qui paye ? ce sont les impôts des gens... ce n'est pas accepté aux Etats-Unis de financer ses études avec l'aide sociale ! les étudiants travaillent.
- (le père) Si j'avais su vraiment, on ne serait jamais venus aux Etats Unis !
- (moi) Oh, ça suffit, je ne veux plus entendre ce genre de commentaire. C'est un pays extraordinaire, d'accord le système de santé n'est pas le meilleur mais il y a beaucoup d'opportunités ici. Tu commences par nettoyer les toilettes de l'hôtel, et quelques années plus tard tu es le patron de l'hôtel (et intérieurement: mon Dieu qu'est ce que je débite comme âneries... suis-je vraiment obligée de perpétuer ce mythe absurde du self made man américain et de l'ascension sociale fulgurante pour les inciter à donner un coup de talon au fond de la mare de désespoir où ils s'embourbent? mais comment leur donner envie de remonter un peu à la surface sans essayer de les convaincre de ses illusions, pour qu'ils essaient au moins... ils n'ont rien à perdre... c'est en restant à ruminer leurs remords qu'ils vont tout perdre...)
- (le père) Oui pardon... mais tu vois si on avait pu aller en Australie, toute la famille est en Australie. C'est mille fois mieux là bas. Le gouvernement donne plus d'argent. Ici on n'a même pas de quoi vivre. Toute l'aide sociale part dans le loyer. Le reste on l'achète avec des coupons d'alimentation - je regarde leur télé immense, qui fait quatre fois la taille de la mienne. Je me rattrape: ils ne l'ont pas achetée, ils l'ont récupérée d'un voisin qui s'était acheté un écran plat pour Noël; pareil pour l'ordinateur; mais je ne peux m'empêcher de penser qu'ils ne vivent pas dans l'état de dénuement matériel que l'on attend de réfugiés. En fait, leur problème principal, c'est qu'ils ne correspondent pas au stéréotype du réfugié misérable. Ils n'étaient pas misérables en Iraq, et, dans leurs premières années d'exil en Syrie, ils ne se débrouillaient pas trop mal, ils ont épuisé leurs économies mais maintenu un niveau de vie décent.
Suite de mon monologue intérieur: j'ai l'impression de me trahir politiquement par les propos que je tiens au père. Ne suis-je pas en train de lui demander de se conformer au modèle américain de société néolibérale ? Quel type de pouvoir impose-t-on aux gens quand on veut les aider ? La bonne volonté excuse-t-elle tout ? D'un autre côté, la position éthique du respect de l'autre est-elle toujours tenable sur le plan pratique? Les anthropologues ont beau jeu de critiquer les institutions humanitaires, les comparant à l'entreprise ou à des suppôts de l'appareil d'Etat. Toujours est-il que ce n'est pas vraiment en consacrant la légitimité du discours "subalterne" qu'on aide des réfugiés à s'adapter à la société dans laquelle, bon gré mal gré, ils vont bien devoir vivre...
Clash of expectations. C'est ainsi que j'explique leur problème. De mon point de vue, l'association qui s'occupe de leur installation n'est ni naïve ni dysfonctionnelle. Un programme bien rodé d'assistance sociale et de tutorat éducatif prévoit d'accompagner les réfugiés pendant deux ou trois mois, au terme desquels ils doivent trouver un emploi et progressivement se suffire à eux-même. 16 heures de cours d'anglais par semaine, des ateliers d'aide à la rédaction de cv et de préparation à l'entretien d'embauche, d'excellentes connexions avec tout un réseau associatif local et des employeurs (en premier lieu, l'aéroport). Mais, comme me l'expliquait une des assistantes sociales de l'association, ça ne marche pas avec les Iraqiens. Ca marche très bien avec les Somaliens, les Birmans, mais pas avec les Iraqiens. Ils se plaignent toujours et refusent les boulots qu'on leur propose. Elle me cite le cas de H., un jeune homme qui était traducteur pour l'armée américaine. Grièvement blessé au cours d'une attaque, il a passé plusieurs mois en Jordanie, à l'hôpital, et continue de recevoir des traitements ici. Il a l'air fringant cependant, tout à fait apte à travailler. Mais il a de grandes attentes. Il ne fera pas n'importe quoi. Il aimerait enseigner l'arabe dans le camp d'entraînement militaire de Fort Lewis, mais c'est un peu loin et il n'a pas de voiture. Il n'est pas prêt à faire trois heures de bus par jour pour aller travailler là bas. Et puis il aimerait faire des études aussi et avoir une position sociale respectable aux Etats-Unis. Il a un ton fortement vindicatif qui tend à déteindre sur les autres. Aussi m'a-t-il semblé qu'au cours des semaines ma famille devenait de plus en plus cynique. Le père, lui, n'est pas du tout favorable à l'occupation américaine en Iraq; il n'en parle pas trop mais de son point de vue les Etats Unis lui doivent une compensation pour lui avoir aliéné sa patrie, pour avoir bouleversé son pays au point qu'il en devienne étranger. Et il ne veut pas y rester.
- (le père) Tu sais si on a le droit de voyager ?
- (moi) Je ne sais pas ce que vous avez comme papiers, mais je crois que oui... Tu veux aller où ?
- (le père) En Australie
- (moi) Oui mais il faut payer le billet d'avion...
- (le père) Eux ils resteront ici, moi j'irai travailler en Australie. Non je ne sais pas. Enfin la mort c'est la solution.
- (moi) Il ne faut pas dire ça. Vous avez un bel avenir aux Etats Unis. Regarde tes enfants vont à l'école, toi tu vas trouver un travail et tout ira bien !
- (le père) Mais je ne peux pas parler anglais, ça ne rentre pas !
- (moi) Mais si ! Et puis Seattle est une belle ville...
- (le père) on n'a même pas l'occasion de la voir.
Alors ce dimanche je me suis dit: pour leur redonner un peu d'énergie et leur faire aimer Seattle, je vais les emmener en promenade sous ce soleil magnifique. A ma proposition, la mère me répond qu'elle ne veut pas sortir, elle ne se sent pas bien. Elle est peut être enceinte.
Friday, February 08, 2008
Les Témoins à la porte
Il m’est arrivé quelque chose de bizarre aujourd’hui. Dix heures du matin ; j’étais à la maison, à finir la traduction de l’article de Lorna Rhodes sur les malades mentaux en prison, dans un faible rayon de soleil, deux couvertures sur mes genoux, quand j’entends frapper à la porte. Je vais ouvrir. Deux charmantes jeunes filles se présentent. Janet et Rosanna. Je me dis « tiens, des Mormonnes » .
- Est-ce qu’il y a quelqu’un qui parle français ici ?
- Oui, moi.
- Nous venons vous présenter la Bible en français.
Janet sort de son petit sac à main en cuir une jolie Bible reliée en français et me montre le verset 37 sur ceux qui seront sauvés. Etrange. Je leur demande de quel groupe elles sont. Témoins de Jéhovah. Janet me tend la Tour de Garde, exactement la même revue que celle qu’on me distribuait à la sortie du métro Asnières-Gennevilliers. Elles me proposent, dans un français hésitant, de revenir discuter du message biblique la semaine prochaine. Le numéro de la Tour de Garde porte sur l’augmentation de la criminalité. Je les remercie de leur gentillesse, mais vous savez, je suis musulmane alors bon… (je sais, c’était un peu facile). Mais au fait, comment saviez-vous qu’il y avait quelqu’un qui parlait français ici ? Oh, par l’annuaire, on regarde les noms qui ont l’air français et on va rendre visite aux gens pour leur proposer la Bible dans leur langue maternelle ; c’est toujours mieux de pouvoir lire le message dans sa langue… on le fait aussi pour le russe, l’allemand, l’italien, beaucoup d’autres langues !
Je referme la porte, perplexe. Je ne suis pas dans l’annuaire et, à vue d’oeil, mon nom ne sonne pas si français que cela… Les témoins de Jéhovah ont-ils un réseau de moukhabarat comme les Syriens ? des agents de l’ombre qui traquent les annuaires de l’université, ou, pire, infiltrent les cercles d’amis ? facebook ? pourquoi se donnent-ils tant de mal pour traquer les « égarés » à sauver ? que font-ils dans la vie ?
Le soir Cody me dit que les Mormons qui sont passés la semaine dernière lui ont laissé un message sur son téléphone.
- Tu leur as donné ton numéro ?
- Ouais, ils sont marrants ces gamins, ils m'ont dit que Dieu les aidait à faire leurs devoirs à l'école, alors je leur répondu que je lisais Nietzsche et que Dieu était mort, ils étaient tout troublés; mais je leur ai donné mon numéro et je leur ai dit de revenir pour parler avec ma copine française, c’est une expérience culturelle.
Est-ce que les Mormons et les Témoins de Jéhovah ont conclu une alliance pour répandre le message biblique à Seattle ?
- Est-ce qu’il y a quelqu’un qui parle français ici ?
- Oui, moi.
- Nous venons vous présenter la Bible en français.
Janet sort de son petit sac à main en cuir une jolie Bible reliée en français et me montre le verset 37 sur ceux qui seront sauvés. Etrange. Je leur demande de quel groupe elles sont. Témoins de Jéhovah. Janet me tend la Tour de Garde, exactement la même revue que celle qu’on me distribuait à la sortie du métro Asnières-Gennevilliers. Elles me proposent, dans un français hésitant, de revenir discuter du message biblique la semaine prochaine. Le numéro de la Tour de Garde porte sur l’augmentation de la criminalité. Je les remercie de leur gentillesse, mais vous savez, je suis musulmane alors bon… (je sais, c’était un peu facile). Mais au fait, comment saviez-vous qu’il y avait quelqu’un qui parlait français ici ? Oh, par l’annuaire, on regarde les noms qui ont l’air français et on va rendre visite aux gens pour leur proposer la Bible dans leur langue maternelle ; c’est toujours mieux de pouvoir lire le message dans sa langue… on le fait aussi pour le russe, l’allemand, l’italien, beaucoup d’autres langues !
Je referme la porte, perplexe. Je ne suis pas dans l’annuaire et, à vue d’oeil, mon nom ne sonne pas si français que cela… Les témoins de Jéhovah ont-ils un réseau de moukhabarat comme les Syriens ? des agents de l’ombre qui traquent les annuaires de l’université, ou, pire, infiltrent les cercles d’amis ? facebook ? pourquoi se donnent-ils tant de mal pour traquer les « égarés » à sauver ? que font-ils dans la vie ?
Le soir Cody me dit que les Mormons qui sont passés la semaine dernière lui ont laissé un message sur son téléphone.
- Tu leur as donné ton numéro ?
- Ouais, ils sont marrants ces gamins, ils m'ont dit que Dieu les aidait à faire leurs devoirs à l'école, alors je leur répondu que je lisais Nietzsche et que Dieu était mort, ils étaient tout troublés; mais je leur ai donné mon numéro et je leur ai dit de revenir pour parler avec ma copine française, c’est une expérience culturelle.
Est-ce que les Mormons et les Témoins de Jéhovah ont conclu une alliance pour répandre le message biblique à Seattle ?
Sunday, January 27, 2008
Sourires
Et parce que je ne fais pas que des activités charitables dans la vie quand même, voici une photo avec Simon Shaheen, musicien fabuleux qui joue du 'oud et du violon, et qui est venu donner un concert à Seattle. Zied, un de mes joyeux camarades (et fidèle lecteur de ce blog; donc il sera content que je le cite !!!) connaissait le contrebassiste, tunisien comme lui, alors il l'a amené à la maison après le concert et nous avons fumé la chicha en discutant politique américaine et de musique. J'avais eu le temps aussi de faire, en un temps record de 7mn (plus 30mn de cuisson) un délicieux clafoutis pêche-rose...
nb: je n'ai rien posté depuis longtemps mais comme j'avais beaucoup écrit entre temps il y a deux nouveaux messages après celui-ci.
Le reflet de la lune sur le lac gelé.
Une autre de mes expériences avec l'envers du décor à Seattle. Toute la semaine le soleil brillait et faisait scintiller le givre sur les arbres. Dans la clarté de l'horizon on pouvait admirer les montagnes enneigées. Le syndrome hivernal du manque chronique de lumière - appelé SAD; seasonnal affective disorder - marquait un sérieux recul, estompé il est vrai par une recrudescence de rhumes dûs probablement au froid inhabituel et au maintien d'habitudes inadaptées au climat (du type tongues et short).
C'est donc bien couverte que je suis partie, jeudi dans la nuit, au Compass Center de Seattle. Il était 2h30 du matin et des centaines de personnes s'étaient réunies là pour le One Night Count: ue nuit de recensement du nombre de sans-abris à Seattle. La colonne vertébrale de cette entreprise, c'est le réseau des églises locales. Je me suis inscrite pour le secteur "Greenlake" (voir la carte- nb j'habite sur la droite par rapport à Greenlake, juste au dessous du point bleu inférieur, c'est Greenlake reservoir)
Agrandir le plan
J'étais dans une sous-équipe avec trois Américains d'origine asiatique venant de l'église protestante de Keystone (dont un vieillard gaillard de 81 ans, vétéran de la seconde guerre mondiale et ancien champion de triathlon), et un jeune cool de type un peu latino qui m'a dit qu'il était pasteur de l'église américano-taiwanaise. Une équipe sympathique. Nous avions la charge du tour du lac, moitié est, une autre équipe faisait la partie ouest. Il fallait observer chaque buisson, chaque recoin pour voir si quelqu'un y dormait, et signaler sur notre petite fiche le nombre de personnes observées; le type d'abri (couvertures, tente, voiture etc). La consigne était de ne pas déranger les sans-abris donc les informations sont très lacunaires (on ne sait pas l'age; le sexe ou la nationalité de la personne). Nous avons compté, avec mon équipe, quatre personnes (dont une sorte de tente faite de bâche, compte pour 2 personnes, c'est la règle). Nous avions des doutes sur le statut de deux personnes qui couraient autour du lac ( à 3h30 du matin, par un froid glacial); mais notre vétéran leur a demandé s'ils étaient sans abris et ils ont répondu que pas du tout, ils faisaient leur jogging. Le manque de sommeil est aussi un fléau de l'Amérique...
L'autre équipe qui faisait le tour du lac a compté deux sans abris. Total de 6 pour le tour d'un lac qui est le paradis des joggers du dimanche. Cela me semble beaucoup pour ce quartier résidentiel où aucun sans-abri n'est visible de jour (contrairement au centre ville). Et beaucoup pour une nuit qui était sans doute l'une des plus froide de l'année, dans les -5/-10 degrés. L'eau du lac avait un air dur et figé, et reflétait avec indifférence les pâles rayons de la lune.
Pour information; le One Night Count a recensé 1 976 sans-abris à Seattle (pour une population de 580 000 habitants environ), chiffre qui exclut les personnes en centres d'hébergement mais inclut les personnes qui se trouvaient dans les abris exceptionnels "grand froid", 140 pour l'ensemble du comté (Seattle et sa banlieue). Ceci représente une augmentation de 15% par rapport à l'an dernier (alors qu'il faisait moins froid...). L'opération de recensement sert à faire pression sur les autorités publiques pour développer le logement social. La tendance actuelle est plutôt à la création de condos (lofts; grands appartements en copropriété).
C'est donc bien couverte que je suis partie, jeudi dans la nuit, au Compass Center de Seattle. Il était 2h30 du matin et des centaines de personnes s'étaient réunies là pour le One Night Count: ue nuit de recensement du nombre de sans-abris à Seattle. La colonne vertébrale de cette entreprise, c'est le réseau des églises locales. Je me suis inscrite pour le secteur "Greenlake" (voir la carte- nb j'habite sur la droite par rapport à Greenlake, juste au dessous du point bleu inférieur, c'est Greenlake reservoir)
Agrandir le plan
J'étais dans une sous-équipe avec trois Américains d'origine asiatique venant de l'église protestante de Keystone (dont un vieillard gaillard de 81 ans, vétéran de la seconde guerre mondiale et ancien champion de triathlon), et un jeune cool de type un peu latino qui m'a dit qu'il était pasteur de l'église américano-taiwanaise. Une équipe sympathique. Nous avions la charge du tour du lac, moitié est, une autre équipe faisait la partie ouest. Il fallait observer chaque buisson, chaque recoin pour voir si quelqu'un y dormait, et signaler sur notre petite fiche le nombre de personnes observées; le type d'abri (couvertures, tente, voiture etc). La consigne était de ne pas déranger les sans-abris donc les informations sont très lacunaires (on ne sait pas l'age; le sexe ou la nationalité de la personne). Nous avons compté, avec mon équipe, quatre personnes (dont une sorte de tente faite de bâche, compte pour 2 personnes, c'est la règle). Nous avions des doutes sur le statut de deux personnes qui couraient autour du lac ( à 3h30 du matin, par un froid glacial); mais notre vétéran leur a demandé s'ils étaient sans abris et ils ont répondu que pas du tout, ils faisaient leur jogging. Le manque de sommeil est aussi un fléau de l'Amérique...
L'autre équipe qui faisait le tour du lac a compté deux sans abris. Total de 6 pour le tour d'un lac qui est le paradis des joggers du dimanche. Cela me semble beaucoup pour ce quartier résidentiel où aucun sans-abri n'est visible de jour (contrairement au centre ville). Et beaucoup pour une nuit qui était sans doute l'une des plus froide de l'année, dans les -5/-10 degrés. L'eau du lac avait un air dur et figé, et reflétait avec indifférence les pâles rayons de la lune.
Pour information; le One Night Count a recensé 1 976 sans-abris à Seattle (pour une population de 580 000 habitants environ), chiffre qui exclut les personnes en centres d'hébergement mais inclut les personnes qui se trouvaient dans les abris exceptionnels "grand froid", 140 pour l'ensemble du comté (Seattle et sa banlieue). Ceci représente une augmentation de 15% par rapport à l'an dernier (alors qu'il faisait moins froid...). L'opération de recensement sert à faire pression sur les autorités publiques pour développer le logement social. La tendance actuelle est plutôt à la création de condos (lofts; grands appartements en copropriété).
Prendre un rendez-vous chez le médecin.
Mes deux activités de volontariat, à la prison et chez les réfugiés iraquiens, sont pour moi une occasion formidable de découvrir l'envers de l'Amérique. Depuis l'immense campus de l'Université de Washington, sa bibliothèque-cathédrale, son ratio de 4 ordinateurs par élève, ses écureuils euphoriques, et son hôpital qui est l'un des meilleurs du pays, on oublie vite ceux qui n'ont pas eu le ticket d'entrée à la bulle magique.
Il y a dix jours environ, Jenane me demande de l'aider à prendre un rendez-vous chez une gynécologue. Pas de problème: je sors la feuille de contacts donnée par l'IRC (l'association qui les prend en charge) et appelle le centre de santé. Bonjour, j'aimerais prendre un rendez-vous avec une gynécologue. - Quel type d'assurance avez-vous? - DSHS (c'est l'assurance maladie fournie par les services sociaux; équivalent américain de la CMU sauf que ce n'est pas vraiment universel ni dans son attibution, ni dans son fonctionnement, comme je le découvre par la suite). - On n'accepte pas cette assurance pour un rendez-vous gynécologie, sauf si la patiente est enceinte. Le centre de santé n'accepte pas non plus le coupon pour la médecine générale; mais la réceptionniste est gentille et elle me donne quelques numéros de téléphone. Après trois nouveaux échecs, j'appelle un autre numéro sur ma liste, celui d'une association de femmes réfugiées - ils doivent bien avoir des adresses. Une femme adorable me dit qu'elle va chercher des numéros, cela devrait lui prendre cinq minutes, et elle me rappelle tout de suite. Une heure trente après - Pardon de rappeler si tard, cela m'a pris plus de temps que prévu mais j'ai trouvé un centre qui a un service gynécologie et devrait accepter le coupon (= DSHS; je commence à comprendre que c'est une assurance qui fonctionne comme des tickets d'alimentation). J'appelle donc Unibe - Non; service gynécologie on ne prend pas.- Est-ce qu'il serait possible d'avoir un rendez-vous en médecine générale alors, avec un médecin femme ? Je suis soulagée: j'ai donné le numéro du coupon, fixé une date pour dans 4 jours, et on m'a même proposé un traducteur pour Jenane.
Le lendemain le centre m'appelle et me dit qu'après vérification, ils se sont aperçus qu'ils ne prenaient pas le coupon. Il faut le transférer sur Molina. Quoi ? Je ne comprends rien, alors j'appelle la coordinatrice de l'IRC à l'aide :
Yasmine, I forwarded your email to the caseworker and this her response is below:
“I know it is hard with the medical coupon. 2 years ago every doctor was accepting medical coupon and now practically nobody. I have to ask around about the doctor. It might take a few days. Unfortunately there is no formula for an easy doc find. You call and they tell you. Stupid, I know. I will let you know when I find a doctor and then Yasmine can schedule with the specifics she mentioned.”
(je sais que c'est difficile avec le coupon médical. Il ya 2 ans tous les médecins l'acceptaient et maintenant presque personne ne le prend. Je vais demander autour de moi; cela peut prendre quelques jours. Malheureusement il n'y a pas de formule magique pour trouver un médecin facilement. Tu appelles et ils te disent oui ou non. Je sais, c'est stupide. Je te tiens au courant dès que j'ai trouvé un médecin et Yasmine pourra fixer le rendez-vous)
La semaine suivante, Jenane m'appelle pour me dire que l'assistante sociale lui a donné quatre numéros de téléphone. Je me retrouve au premier centre, qui n'accepte que les femmes enceintes. Retour à la case départ. Ils me donnent une autre adresse, -bonjourcentresemarquepuisjefairepourvous? - J'aimerais prendre un rendez-vous en gynécologie -onn'aplusdegynecologueici. - En médecine générale alors ? -Quelassuranceavezvous? qlestlnomdlpatiente?- Vous pourriez parler plus lentement s'il vous plaît ? - Quel-est-le-nom de lapatiente? - Dtdenaissance? - Heureusement je commence à connaître la liste des questions et j'obtiens un rendez-vous; la réceptionniste pressée me dit que si jamais le centre n'accepte pas le coupon, ce qui est une possibilité, alors la consultation sera à la charge de la patiente: 100 dollars (médecine générale). J'écris à la coordinatrice de l'IRC pour qu'elle m'explique le système des coupons: voici son courriel (traduit cette fois)
Ah, le coupon médical c'est un autre exemple de comment les Américains peuvent rendre compliqués des concepts assez simples au départ. Lorsque les gens reçoivent les coupns médicaux, ils sont enregistrés dans différents plans. Ces plans ne permettent aux gens d'aller que chez certains médecins approuvés par le plan. Unibe fait partie du plan Molina. Je crois que la famille a été enregistrée dans Community Health plan de Washington; ce qui est embêtant parce que les seuls centres de santé approuvés sont les Community Health Centers; et le plus près est à White Center (je regarde sur googlemap... pas si près mais il doit bien y avoir un bus...).
Une semaine plus tard (on entre donc dans la troisième semaine de l'affaire. Je ne sais pas trop ce qu'a Jenane mais j'espère pour elle que ce n'est pas si urgent...), j'apprends que finalement elle peut aller dans une des cliniques près de chez elle, mais qu'ils trouvent qu'il n'est pas nécessaire qu'elle ait un traducteur. Alors Jenane ne veut pas y aller...
Il y a dix jours environ, Jenane me demande de l'aider à prendre un rendez-vous chez une gynécologue. Pas de problème: je sors la feuille de contacts donnée par l'IRC (l'association qui les prend en charge) et appelle le centre de santé. Bonjour, j'aimerais prendre un rendez-vous avec une gynécologue. - Quel type d'assurance avez-vous? - DSHS (c'est l'assurance maladie fournie par les services sociaux; équivalent américain de la CMU sauf que ce n'est pas vraiment universel ni dans son attibution, ni dans son fonctionnement, comme je le découvre par la suite). - On n'accepte pas cette assurance pour un rendez-vous gynécologie, sauf si la patiente est enceinte. Le centre de santé n'accepte pas non plus le coupon pour la médecine générale; mais la réceptionniste est gentille et elle me donne quelques numéros de téléphone. Après trois nouveaux échecs, j'appelle un autre numéro sur ma liste, celui d'une association de femmes réfugiées - ils doivent bien avoir des adresses. Une femme adorable me dit qu'elle va chercher des numéros, cela devrait lui prendre cinq minutes, et elle me rappelle tout de suite. Une heure trente après - Pardon de rappeler si tard, cela m'a pris plus de temps que prévu mais j'ai trouvé un centre qui a un service gynécologie et devrait accepter le coupon (= DSHS; je commence à comprendre que c'est une assurance qui fonctionne comme des tickets d'alimentation). J'appelle donc Unibe - Non; service gynécologie on ne prend pas.- Est-ce qu'il serait possible d'avoir un rendez-vous en médecine générale alors, avec un médecin femme ? Je suis soulagée: j'ai donné le numéro du coupon, fixé une date pour dans 4 jours, et on m'a même proposé un traducteur pour Jenane.
Le lendemain le centre m'appelle et me dit qu'après vérification, ils se sont aperçus qu'ils ne prenaient pas le coupon. Il faut le transférer sur Molina. Quoi ? Je ne comprends rien, alors j'appelle la coordinatrice de l'IRC à l'aide :
Yasmine, I forwarded your email to the caseworker and this her response is below:
“I know it is hard with the medical coupon. 2 years ago every doctor was accepting medical coupon and now practically nobody. I have to ask around about the doctor. It might take a few days. Unfortunately there is no formula for an easy doc find. You call and they tell you. Stupid, I know. I will let you know when I find a doctor and then Yasmine can schedule with the specifics she mentioned.”
(je sais que c'est difficile avec le coupon médical. Il ya 2 ans tous les médecins l'acceptaient et maintenant presque personne ne le prend. Je vais demander autour de moi; cela peut prendre quelques jours. Malheureusement il n'y a pas de formule magique pour trouver un médecin facilement. Tu appelles et ils te disent oui ou non. Je sais, c'est stupide. Je te tiens au courant dès que j'ai trouvé un médecin et Yasmine pourra fixer le rendez-vous)
La semaine suivante, Jenane m'appelle pour me dire que l'assistante sociale lui a donné quatre numéros de téléphone. Je me retrouve au premier centre, qui n'accepte que les femmes enceintes. Retour à la case départ. Ils me donnent une autre adresse, -bonjourcentresemarquepuisjefairepourvous? - J'aimerais prendre un rendez-vous en gynécologie -onn'aplusdegynecologueici. - En médecine générale alors ? -Quelassuranceavezvous? qlestlnomdlpatiente?- Vous pourriez parler plus lentement s'il vous plaît ? - Quel-est-le-nom de lapatiente? - Dtdenaissance? - Heureusement je commence à connaître la liste des questions et j'obtiens un rendez-vous; la réceptionniste pressée me dit que si jamais le centre n'accepte pas le coupon, ce qui est une possibilité, alors la consultation sera à la charge de la patiente: 100 dollars (médecine générale). J'écris à la coordinatrice de l'IRC pour qu'elle m'explique le système des coupons: voici son courriel (traduit cette fois)
Ah, le coupon médical c'est un autre exemple de comment les Américains peuvent rendre compliqués des concepts assez simples au départ. Lorsque les gens reçoivent les coupns médicaux, ils sont enregistrés dans différents plans. Ces plans ne permettent aux gens d'aller que chez certains médecins approuvés par le plan. Unibe fait partie du plan Molina. Je crois que la famille a été enregistrée dans Community Health plan de Washington; ce qui est embêtant parce que les seuls centres de santé approuvés sont les Community Health Centers; et le plus près est à White Center (je regarde sur googlemap... pas si près mais il doit bien y avoir un bus...).
Une semaine plus tard (on entre donc dans la troisième semaine de l'affaire. Je ne sais pas trop ce qu'a Jenane mais j'espère pour elle que ce n'est pas si urgent...), j'apprends que finalement elle peut aller dans une des cliniques près de chez elle, mais qu'ils trouvent qu'il n'est pas nécessaire qu'elle ait un traducteur. Alors Jenane ne veut pas y aller...
Sunday, January 13, 2008
De la morale et de la sécurité
J'écris aujourd'hui, une fois n'est pas coutume, à propos d'un des prisonniers que je vois le vendredi lors de mes visites à l'unité psychiatrique de la prison de Monroe. Norton est un jeune homme palichot et maigrelet. Il a tout juste 21 ans mais c'est un warrior: d'ailleurs il était dans les Marines. Son instructeur n'a pas voulu l'envoyer en Iraq, il aurait bien aimé parce que c'est ce que font les vrais hommes, mais l'instructeur a dit que Norton était trop émotif, parce qu'il pleurait devant les films projetés aux nouvelles recrues. Mais il a eu son baptême du feu malgré tout, au cours d'une opération dont les médias n'ont pas parlé: c'était au Canada, à la frontière avec l'Alaska. Le gouvernement canadien avait appelé les Marines américains à la rescousse pour combattre de dangereux pirates. L'affrontement a été violent, plusieurs hommes ont été tués. Un vent glacé soufflait, c'était horrible.
Ce fut la seule expérience au front de Norton. Il s'est foulé la cheville et, alors qu'il était en convalescence, il a été arrêté.
Norton vient chaque vendredi; parfois il veut parler, et s'engage dans de longues conversations sur la politique internationale. Nourri de romans d'espionnages, il a une perspective intéressante sur la question. A la fois tolérant (les terroristes, ce sont des gens qui se trompent de moyens pour réaliser leurs objectifs politiques légitimes) et extrême (la solution au problème iraqien, c'est d'oblitérer ce pays). Fasciné de conspirations.
Parfois il apporte ses photos et les range soigneusement dans son album. Rayonnent les sourires de belles jeunes filles. Sa meilleure amie. Sa soeur. Aussi Lindsey Lohan, starlette américaine. Trois belles blondes qui semblent apporter un peu de vie dans la griseur de la prison. Mais la meilleure amie s'est suicidée il y a deux ans, et la soeur est morte le mois dernier sur un parking de supermarché, poignardée par l'homme qui voulait lui voler sa voiture. Images morbides. Manquant de mots pour décrire la situation, c'est d'un "ça fait chier" que Norton exprime l'étendue de son désarroi.
Fait chier aussi sa situation en prison. Norton dit qu'il a été arrêté pour un crime qui n'en est pas un dans plusieurs pays. Drogue ? Non. Quoi alors ? Je peux pas le dire comme cela, c'est embarrassant. D'accord, ne dis rien alors. Quand j'ai été arrêté, quand j'ai vu les policiers arriver chez moi, j'ai pensé qu'ils venaient pour autre chose - je faisais pas mal de conneries à l'époque, courses de voiture et tout ça... mais quand j'ai appris que c'était pour ça, non, j'en revenais pas... C'est quoi alors? "Statutory Rape" (l'équivalent de détournement de mineur, mais le terme est bien plus fort car il renvoie au "viol": c'est un viol statutaire car l'un des deux partenaires est majeur tandis que le second est mineur). J'avais 18 ans et elle avait 16 ans. - Et tu as pris 5 ans pour ça ? - Oui j'ai eu de la chance ils voulaient me coller perpet' parce que j'avais déjà été en prison quand j'avais 15 ans. Mais ça fait chier vraiment. En plus c'est absurde, on était ensemble depuis longtemps et tout d'un coup j'ai 18 ans alors c'est illégal ! Les policiers m'ont interrogé pour savoir combien de fois on avait fait l'amour, et après ils voulaient compter chaque fois comme un crime. A la fin le procureur m'a montré le papier de l'accusation et m'a dit que si je passais devant un jury j'en prendrais pour au moins 25 ans.. alors j'ai pas voulu courir le risque et j'ai accepté le marchandage de peine (plea bargain): ils ont discuté, lui et mon avocat, et ils se sont mis d'accord sur 5 ans. Moi je n'ai rien dit, 5 ans c'est long mais j'avais trop peur d'être enfermé pendant 25 ans. Le pire c'est que ma copine elle s'est jamais plainte de rien. Elle est même allée voir les flics pour leur dire que je n'avais jamais été violent avec elle, qu'on s'aimait et tout. Ce sont ses parents qui ont porté plainte parce qu'ils savaient que j'avais été en prison avant alors ils aimaient pas la voir avec moi... Alors je n'ai pas le droit de la contacter. C'est elle qui m'appelle, moi je peux pas l'appeler. Mais on s'est fiancés - Norton montre l'anneau en papier roulé qu'il s'est fabriqué.
Il n'a pas de date de libération inscrite sur son dossier: en tant que "criminel sexuel", sa libération est conditionnée à l'approbation d'un comité spécial qui devra vérifier s'il a bien complété les programmes thérapeutiques destinés aux criminels sexuels en prison. Et quand il sortira, il devra aller de porte en porte pour se présenter à ses voisins et se signaler comme criminel sexuel. Sauf si le comité estime qu'il est trop dangereux et qu'il doit être maintenu en rétention de sûreté.
Ce fut la seule expérience au front de Norton. Il s'est foulé la cheville et, alors qu'il était en convalescence, il a été arrêté.
Norton vient chaque vendredi; parfois il veut parler, et s'engage dans de longues conversations sur la politique internationale. Nourri de romans d'espionnages, il a une perspective intéressante sur la question. A la fois tolérant (les terroristes, ce sont des gens qui se trompent de moyens pour réaliser leurs objectifs politiques légitimes) et extrême (la solution au problème iraqien, c'est d'oblitérer ce pays). Fasciné de conspirations.
Parfois il apporte ses photos et les range soigneusement dans son album. Rayonnent les sourires de belles jeunes filles. Sa meilleure amie. Sa soeur. Aussi Lindsey Lohan, starlette américaine. Trois belles blondes qui semblent apporter un peu de vie dans la griseur de la prison. Mais la meilleure amie s'est suicidée il y a deux ans, et la soeur est morte le mois dernier sur un parking de supermarché, poignardée par l'homme qui voulait lui voler sa voiture. Images morbides. Manquant de mots pour décrire la situation, c'est d'un "ça fait chier" que Norton exprime l'étendue de son désarroi.
Fait chier aussi sa situation en prison. Norton dit qu'il a été arrêté pour un crime qui n'en est pas un dans plusieurs pays. Drogue ? Non. Quoi alors ? Je peux pas le dire comme cela, c'est embarrassant. D'accord, ne dis rien alors. Quand j'ai été arrêté, quand j'ai vu les policiers arriver chez moi, j'ai pensé qu'ils venaient pour autre chose - je faisais pas mal de conneries à l'époque, courses de voiture et tout ça... mais quand j'ai appris que c'était pour ça, non, j'en revenais pas... C'est quoi alors? "Statutory Rape" (l'équivalent de détournement de mineur, mais le terme est bien plus fort car il renvoie au "viol": c'est un viol statutaire car l'un des deux partenaires est majeur tandis que le second est mineur). J'avais 18 ans et elle avait 16 ans. - Et tu as pris 5 ans pour ça ? - Oui j'ai eu de la chance ils voulaient me coller perpet' parce que j'avais déjà été en prison quand j'avais 15 ans. Mais ça fait chier vraiment. En plus c'est absurde, on était ensemble depuis longtemps et tout d'un coup j'ai 18 ans alors c'est illégal ! Les policiers m'ont interrogé pour savoir combien de fois on avait fait l'amour, et après ils voulaient compter chaque fois comme un crime. A la fin le procureur m'a montré le papier de l'accusation et m'a dit que si je passais devant un jury j'en prendrais pour au moins 25 ans.. alors j'ai pas voulu courir le risque et j'ai accepté le marchandage de peine (plea bargain): ils ont discuté, lui et mon avocat, et ils se sont mis d'accord sur 5 ans. Moi je n'ai rien dit, 5 ans c'est long mais j'avais trop peur d'être enfermé pendant 25 ans. Le pire c'est que ma copine elle s'est jamais plainte de rien. Elle est même allée voir les flics pour leur dire que je n'avais jamais été violent avec elle, qu'on s'aimait et tout. Ce sont ses parents qui ont porté plainte parce qu'ils savaient que j'avais été en prison avant alors ils aimaient pas la voir avec moi... Alors je n'ai pas le droit de la contacter. C'est elle qui m'appelle, moi je peux pas l'appeler. Mais on s'est fiancés - Norton montre l'anneau en papier roulé qu'il s'est fabriqué.
Il n'a pas de date de libération inscrite sur son dossier: en tant que "criminel sexuel", sa libération est conditionnée à l'approbation d'un comité spécial qui devra vérifier s'il a bien complété les programmes thérapeutiques destinés aux criminels sexuels en prison. Et quand il sortira, il devra aller de porte en porte pour se présenter à ses voisins et se signaler comme criminel sexuel. Sauf si le comité estime qu'il est trop dangereux et qu'il doit être maintenu en rétention de sûreté.
Sunday, January 06, 2008
Le manteau constellé d'étoiles
Bonne année à tous : que 2008 soit pour vous une année pleine de joie et de lumière. Je dois dire qu’ici cela commence plutôt bien, avec enfin un espoir du côté de la politique (Obama a remporté haut la main le caucus de l’Iowa et Huckabee surfe sur une vague évangéliste qui, selon la plupart des commentateurs, ne le portera pas bien loin car il n’a pas le soutien de l’ establishment républicain).
J’ai pris comme résolution pour la nouvelle année d’écrire davantage. En commençant par ce blog, qui va prendre, je pense, une forme plus libre.
Dimanche 6 janvier, dans le ferry revenant d’Orcas (je suis allée rendre visite à ma prof Lorna Rhodes). Je suis assise dans un rayon de soleil ; j’essaie d’écrire – mon journal de terrain décrivant mes observations à la prison de Monroe. Trônant sur l’eau calme, les îles fredonnent une fugue de lumière qui s’efface dans l’horizon des montagnes grises. Histoire de Fred : qu’a-t-il fait pour aller en prison, lui qui présente si bien, et est-il vraiment fou ? Son regard est comme une vitre claire, fragment isolé d’intelligibilité parmi l’opacité et le flou des visages cireux que je rencontre ici. Mais le chant des îles encore me distrait de mon cahier. Je me sent comme dilatée et agrandie. J’essaie d’absorber un peu de l’infini.
Et je me plonge à nouveau dans cet exercice de reconstitution de dialogues et situations. Ce que j’inscris dans ce petit cahier est-il bien exact d’ailleurs ? Mes analyses seraient-elles très différentes si je pouvais enregistrer les conversations dans la prison ?
- Vous écrivez votre journal ?
- Oui, en quelque sorte …
- Ah … et vous faites cela depuis longtemps ?
- Depuis un an environ (ce n’est pas une réponse exacte… je tiens ce journal depuis quelque mois seulement mais j’en ai eu d’autres avant, et suis-je obligée d’être exacte avec un étranger ?)
- J’ai un ami qui a tenu un journal intime pendant 50 ans : tous les jours il écrivait dans son journal. Vous écrivez tous les jours ?
- Non… une fois par semaine…
Le vieux monsieur en manteau noir s’assied en face de moi et ajuste sa casquette. Son regard gris est sévère et chaleureux à la fois. Je lui raconte que je suis étudiante, que je fais des recherches sur les prisons aux Etats Unis. Savez-vous que justement l’ancien directeur des prisons de l’Etat habite sur Orcas, c’est un bon ami.. Chase.. il est contre la peine capitale… un homme intéressant… il est à la retraite maintenant, mais il est consultant pour des prisons dans divers endroit du pays. Mais pourquoi étudiez-vous les prisons ? A mesure que le ferry s’approche de la côte le ciel devient plus sombre : c’est intéressant d’un point de vue anthropologique… vous voyez, le système carcéral américain est gigantesque, il y a des tendances beaucoup plus punitives qu’en Europe, et pourtant c’est un pays très libéral.. j’essaie de comprendre ce paradoxe, ou cette différence culturelle. J’aimerais comparer les pratiques pénales en France et aux Etats Unis.
La France. Il soulève sa casquette et passe sa main sur son crâne chauve, me parle de ses années de service en Europe, de Marseille à l’Autriche en passant par les Vosges. - Non mes parents n’ont pas fait la guerre, ils sont nés après. - Ma fille a visité Paris, il y a quarante ans, pendant les émeutes – ah Mai 68, la révolution hippie… une période intéressante… (ô combien cet héritage est toujours présent, entre déni oedipien et romantique fétichisation du pavé).
Il travaillait pour un hebdomadaire local, mais il est à la retraite depuis vingt cinq ans maintenant.
- J’ai déménagé à Seattle il y a deux semaines. Un jour, c’était au mois de novembre, je prenais un bain dans ma maison à Orcas et ma femme m’a dit qu’elle voulait déménager. Comment, cela fait plus de vingt ans que j’habite ici ? où déménager ? Peu importe, il faut aller ailleurs. Elle avait raison, cette maison était trop compliquée à entretenir. Mon père l’avait construite dans les années 20 ou 30. Et il y a un terrain de 6 acres. C’est beaucoup de travail. Alors j’ai décidé de vendre la maison et d’acheter un condo à Seattle. En deux semaines nous avons déménagé ! Mais je ne connais personne à Ballard… un ami m’a dit qu’il fallait environ six mois pour se sentir bien à Seattle, on verra…
Le haut parleur annonce l’arrivée du ferry à Anacortes. Assurez-vous que vous n’avez rien oublié à bord. Les piétons sont priés de débarquer par le ponton supérieur. Enchantée d’avoir fait votre connaissance, je m’appelle Yasmine. – Garry Evans.
Sa longue silhouette s’avance lentement vers le ponton pendant que je ramasse mes papiers.
En sortant du parking d’Anacortes. Il pleut. Un homme barbu appuyé sur une canne fait signe : je reconnais un des passagers du ferry et m’arrête. Merci merci c’est inespéré c’est tellement gentil à vous de vous arrêter j’étais dans le ferry je vais à Commercial Avenue c’est incroyable tout de même qu’il n’y ait pas de bus le dimanche il y en a tous les jours de la semaine vraiment ce n’est pas pratique vous voyez je suis resté bloqué – comment ça marche votre ceinture de sécurité, ah voilà… c’est parti. Il souffle. Il sent l’alcool. Est-ce bien raisonnable de prendre en stop un clochard ? Il n’est pas bien menaçant. La divinité se déguise en mendiant pour visiter les mortels.
Oui c’est surprenant qu’il n’y ait pas de bus le dimanche c’est tellement touristique les San Juan… Mais il faut dire qu’en hiver il n’y a pas grand monde. Pourtant ces îles sont magnifiques en été mais aussi en hiver avec la pluie et le vent vous voyez c’est un décor de théâtre absolument parfait… dramatique.. oui je travaille dans le théâtre, je suis scénographe… ah vous êtes française je l’avais deviné vous avez un accent… sur ces îles on pourrait mettre en scène En attendant Godot vous savez cette pièce de Samuel Beckett l’Irlandais qui écrivait en français…
Je ne saurai jamais comment il entendait mettre en scène Godot, cette pièce de l’absurde et du vide, dans ce paysage océanique. Godot me semble urbain. Je l’aurais fait jouer dans un jardin public, entre les toboggans et les animaux à ressort. Et dans l’immensité des San Juan, je voyais une rêverie existentielle comme Peer Gynt. Mais mon passager était arrivé à destination. Il m’a remercié chaleureusement, et m’a quittée d’un « God bless you » : je me suis sentie protégée et j’ai repris la route vers Seattle en me réjouissant de ces rencontres inattendues.
J’ai pris comme résolution pour la nouvelle année d’écrire davantage. En commençant par ce blog, qui va prendre, je pense, une forme plus libre.
Dimanche 6 janvier, dans le ferry revenant d’Orcas (je suis allée rendre visite à ma prof Lorna Rhodes). Je suis assise dans un rayon de soleil ; j’essaie d’écrire – mon journal de terrain décrivant mes observations à la prison de Monroe. Trônant sur l’eau calme, les îles fredonnent une fugue de lumière qui s’efface dans l’horizon des montagnes grises. Histoire de Fred : qu’a-t-il fait pour aller en prison, lui qui présente si bien, et est-il vraiment fou ? Son regard est comme une vitre claire, fragment isolé d’intelligibilité parmi l’opacité et le flou des visages cireux que je rencontre ici. Mais le chant des îles encore me distrait de mon cahier. Je me sent comme dilatée et agrandie. J’essaie d’absorber un peu de l’infini.
Et je me plonge à nouveau dans cet exercice de reconstitution de dialogues et situations. Ce que j’inscris dans ce petit cahier est-il bien exact d’ailleurs ? Mes analyses seraient-elles très différentes si je pouvais enregistrer les conversations dans la prison ?
- Vous écrivez votre journal ?
- Oui, en quelque sorte …
- Ah … et vous faites cela depuis longtemps ?
- Depuis un an environ (ce n’est pas une réponse exacte… je tiens ce journal depuis quelque mois seulement mais j’en ai eu d’autres avant, et suis-je obligée d’être exacte avec un étranger ?)
- J’ai un ami qui a tenu un journal intime pendant 50 ans : tous les jours il écrivait dans son journal. Vous écrivez tous les jours ?
- Non… une fois par semaine…
Le vieux monsieur en manteau noir s’assied en face de moi et ajuste sa casquette. Son regard gris est sévère et chaleureux à la fois. Je lui raconte que je suis étudiante, que je fais des recherches sur les prisons aux Etats Unis. Savez-vous que justement l’ancien directeur des prisons de l’Etat habite sur Orcas, c’est un bon ami.. Chase.. il est contre la peine capitale… un homme intéressant… il est à la retraite maintenant, mais il est consultant pour des prisons dans divers endroit du pays. Mais pourquoi étudiez-vous les prisons ? A mesure que le ferry s’approche de la côte le ciel devient plus sombre : c’est intéressant d’un point de vue anthropologique… vous voyez, le système carcéral américain est gigantesque, il y a des tendances beaucoup plus punitives qu’en Europe, et pourtant c’est un pays très libéral.. j’essaie de comprendre ce paradoxe, ou cette différence culturelle. J’aimerais comparer les pratiques pénales en France et aux Etats Unis.
La France. Il soulève sa casquette et passe sa main sur son crâne chauve, me parle de ses années de service en Europe, de Marseille à l’Autriche en passant par les Vosges. - Non mes parents n’ont pas fait la guerre, ils sont nés après. - Ma fille a visité Paris, il y a quarante ans, pendant les émeutes – ah Mai 68, la révolution hippie… une période intéressante… (ô combien cet héritage est toujours présent, entre déni oedipien et romantique fétichisation du pavé).
Il travaillait pour un hebdomadaire local, mais il est à la retraite depuis vingt cinq ans maintenant.
- J’ai déménagé à Seattle il y a deux semaines. Un jour, c’était au mois de novembre, je prenais un bain dans ma maison à Orcas et ma femme m’a dit qu’elle voulait déménager. Comment, cela fait plus de vingt ans que j’habite ici ? où déménager ? Peu importe, il faut aller ailleurs. Elle avait raison, cette maison était trop compliquée à entretenir. Mon père l’avait construite dans les années 20 ou 30. Et il y a un terrain de 6 acres. C’est beaucoup de travail. Alors j’ai décidé de vendre la maison et d’acheter un condo à Seattle. En deux semaines nous avons déménagé ! Mais je ne connais personne à Ballard… un ami m’a dit qu’il fallait environ six mois pour se sentir bien à Seattle, on verra…
Le haut parleur annonce l’arrivée du ferry à Anacortes. Assurez-vous que vous n’avez rien oublié à bord. Les piétons sont priés de débarquer par le ponton supérieur. Enchantée d’avoir fait votre connaissance, je m’appelle Yasmine. – Garry Evans.
Sa longue silhouette s’avance lentement vers le ponton pendant que je ramasse mes papiers.
En sortant du parking d’Anacortes. Il pleut. Un homme barbu appuyé sur une canne fait signe : je reconnais un des passagers du ferry et m’arrête. Merci merci c’est inespéré c’est tellement gentil à vous de vous arrêter j’étais dans le ferry je vais à Commercial Avenue c’est incroyable tout de même qu’il n’y ait pas de bus le dimanche il y en a tous les jours de la semaine vraiment ce n’est pas pratique vous voyez je suis resté bloqué – comment ça marche votre ceinture de sécurité, ah voilà… c’est parti. Il souffle. Il sent l’alcool. Est-ce bien raisonnable de prendre en stop un clochard ? Il n’est pas bien menaçant. La divinité se déguise en mendiant pour visiter les mortels.
Oui c’est surprenant qu’il n’y ait pas de bus le dimanche c’est tellement touristique les San Juan… Mais il faut dire qu’en hiver il n’y a pas grand monde. Pourtant ces îles sont magnifiques en été mais aussi en hiver avec la pluie et le vent vous voyez c’est un décor de théâtre absolument parfait… dramatique.. oui je travaille dans le théâtre, je suis scénographe… ah vous êtes française je l’avais deviné vous avez un accent… sur ces îles on pourrait mettre en scène En attendant Godot vous savez cette pièce de Samuel Beckett l’Irlandais qui écrivait en français…
Je ne saurai jamais comment il entendait mettre en scène Godot, cette pièce de l’absurde et du vide, dans ce paysage océanique. Godot me semble urbain. Je l’aurais fait jouer dans un jardin public, entre les toboggans et les animaux à ressort. Et dans l’immensité des San Juan, je voyais une rêverie existentielle comme Peer Gynt. Mais mon passager était arrivé à destination. Il m’a remercié chaleureusement, et m’a quittée d’un « God bless you » : je me suis sentie protégée et j’ai repris la route vers Seattle en me réjouissant de ces rencontres inattendues.
Monday, December 10, 2007
(photos plus tard...)
Je suis à l'aéroport de Copenhague, pour quatre bonnes heures. Je regarde les petits engins s'affairer autour des avions, c'est rigolo.
Je n'ai pas écrit sur mon blog depuis longtemps, alors voici une brève mise à jour.
Pour Thanksgiving, la famille de Cody est venue à Seattle : sa mère et son beau-père, de Houston, Texas, et son père de San Diego, Californie. Ils étaient frigorifiés en arrivant à Seattle depuis leurs contrées méridionales, mais Cody et moi nous trouvions que justement le temps était exceptionnellement beau à Seattle: il faisait froid, mais il n'a pas plu pendant 4 jours d'affilée, et on avait même un grand soleil. Alors le jeudi, nous avons mis la dinde de 25 livres (12,5 kg)dans le four et nous sommes partis nous promener à Carkeek Park, histoire de respirer l'air frais. C'est un parc un peu au nord de chez nous, qui descend sur le lac, et d'où on a une vue magnifique sur toute la baie (Puget Sound). Nous ne sommes pas restés très longtemps, on ne voulait pas laisser la dinde toute seule et de toutes façons il faisait un peu frisquet. Rentrés à la maison nous avons continué à préparer le repas pantagruléique: dinde monumentale, donc; sauce de "cranberries"; plat de patates douces et yams recouverts de marshmallow (ça c'est un truc de Louisiane, où a grandit la maman de Cody); pommes et navets; farce de croûtons et chair à saucisse épicée; riz au curry et aux raisins secs; haricots dans une sauce aux champignons; bon vin californien; et tartes en dessert. Autant dire que nous avons eu de quoi nous nourrir pour toute la semaine, et j'ai stocké de la dinde au congélo pour les mois d'hiver.... Alourdis par ce repas nous avons digéré en regardant des films- ils ont voulu absolument me montrer la Panthère Rose, parce que ça se passe à Paris avec un flic français un peu fou, et ils étaient morts de rire à entendre son accent en anglais. J'ai essayé de leur montrer de l'humour français après mais Le Père Noel est une ordure n'avait pas de sous-titres, et La Chèvre ça ne les a pas fait rire du tout, ils se sont endormis devant. Seul le père ce Cody a trouvé ça amusant, au moins un qui me comprend...
Le lendemain il faisait tellement beau qu'on a décidé sur le coup d'aller aux Iles San Juan. Il faut faire environ 1h30 de route, et après prendre le ferry. Comme on est parti un peu tard, on a décidé au hasard de s'arrêter sur la première île desservie par le ferry: Lopez Island, du nom d'un illustre personnage à l'histoire rocambolesque. C'était tellement beau... les îles San Juan sont un archipel tout au nord de l'Etat de Washington, à la frontière avec le Canada. C'est le point où la baie se mêle à l'océan, sous le regard des montagnes. Des phoques jouent dans les courants et regardent les passants, attendant les restes du pique nique peut-être...
Après tout cela il a fallu se remettre au travail parce que la fin du trimestre approchait déjà. Le temps est redevenu sombre alors ce n'était pas trop gênant de passer la journée à la bibliothèque... j'ai vu un film sur la prison d'Abou Ghraib, diffusé par la section d'Amnesty International à l'université. très intéressant. Le film montrait le point de vue des soldats qui avaient été placés comme gardiens de la prison, et chargés de surveiller les prisonniers interrogés par l'armée américaine. Ils expliquaient comment les sévices infligés aux prisonniers ne leur avaient semblé ni terribles ni anormaux puisqu'ils ne faisaient que répéter des pratiques utilisées lors des interrogatoires, sur ordres de la hiérarchie. En bref, le documentaire expliquait l'affaire des photos et montrait que ce n'était pas une "dérive" de la brigade de nuit (version officielle) mais la partie émergée de l'iceberg des pratiques de l'armée américaine. Le responsable chargé des interrogatoires à Abou Ghraib avait été nommé sur foi de ses bons services à Guantanamo. Il n'y avait pas de discussion à la fin du film (dommage) mais la question apparaît souvent dans les médias; c'est devenu un rituel maintenant de demander aux candidats à la présidentielle ce qu'ils pensent du "waterboarding" (simulation de noyade). L'autre jour, lors du débat républicain, Mitt Romney, le bon mormon, disait que puisque c'était pratiqué par l'armée américaine ce ne pouvait pas être de la torture, car l'armée américaine est une armée de héros justes et droits et qui défendent la liberté. Et surtout qu'on ne lui parle pas de fermer Guantanamo, parce qu'il ne tolérerait pas de voir un seul de ces terroristes dans un tribunal américain accompagné d'un avocat (souligné); ces gens là sont des ennemis de la démocratie, ils ne doivent pas avoir d'avocat. Seul McCain s'est franchement prononcé contre la torture et il s'est attiré des huées... Et puis maintenant on reparle de la question avec l'affaire des vidéos d'interrogatoires détruites par la CIA, probablement pour se protéger contre d'éventuelles poursuites.
Retour à la météo. Premières neiges samedi dernier c'est tellement beau, je joins quelques photos. Puis le lendemain déluge de pluie, qui a presque atteint le record du siècle pour la quantité de précipitations tombées en un jour. Olympia a été inondée, et plusieurs routes se sont effondrées à Seattle suite à des glissements de terrain. Enfin ce n'est pas le Bangladesh tout de même, pas trop de mal et, pour moi qui habite sur la colline, rien de plus que les pieds mouillées (j'ai eu la sagesse de ne pas prendre mon vélo ce jour là !!). Voilà pour l'actualité locale. Je ne suis pas trop ce qui se passe en fait; il y a eu des élections pour le conseil municipal, je ne sais même pas qui a gagné. Je sais seulement que le grand projet en cours c'est le tram qui doit relier bientôt le centre ville à l'aéroport. Mais le budget de son extension n'a pas été voté. Donc Seattle est une ville "écolo", qui se bat contre la voiture de manière assez rigoureuses (circulation limitée en centre ville; prix prohibitif pour le parking) mais n'offre comme système de transport en commun que des bus pépères, très sympathiques mais TRES très lents. C'est un peu comme le train au niveau national. Amtrack c'est sympa mais il faut vraiment avoir du temps à perdre, parce que les trains de marchandise sont prioritaires sur les trains de passagers, donc on met 24h pour aller à San Francisco, contre 3h en avion et 16h en voiture. Et les bus greyhound, c'est bien, pas très cher, mais c'est vraiment un repaire de marginaux pas toujours agréable à fréquenter. Du coup je suis bien contente de pouvoir utiliser la voiture de Cody, complètement en règle maintenant que j'ai passé mon permis de l'Etat de Washington. C'est complètement contraire à mes principes mais de toutes façons il n'ya pas d'autre moyen d'aller à la prison...
Je continue donc mon volontariat à la prison de Monroe; j'anime un "open studio" le vendredi après-midi; c'est un groupe ouvert où les prisonniers peuvent venir dessiner. Il n'y a pas beaucoup de matériel mais je leur montre un peu des trucs avec la peinture et les pastels. Et on discute. Ils sont très contents de pouvoir discuter avec moi qui viens d' ailleurs. Ils ont une vue très déformée du monde; la plupart sont en prison depuis très longtemps ou alors ils sont jeunes et très naïfs; leur principale source d'information sur le monde, c'est la télévision. L'autre jour ils me posaient des questions sur Paris en me parlant de Da Vinci Code. Je dois présenter mes recherches au département de sciences sociales à Paris et je ne sais même pas de quoi je vais parler... j'ai mis comme titre de ma présentation "qu'administre-t-on en prison" parce que je pense qu'il y a un double sens dans le fonctionnement même de la prison entre l'administration - gestion bureaucratique (centrée sur les stocks et les flux; les prisonniers comme nombre dont il faut ordonner les mouvements pour assurer un fonctionnement optimal) et l'administration de quelque chose au sens d'administrer un traitement, administrer la loi ou la sentence; administrer les médicaments... cela requiert un peu d'attention à l'individu. Monroe est un endroit particulier dans le système carcéral de l'Etat de Washington, peu de prisons ont comme celle ci les moyens d'apporter des soins particuliers pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. C'est un environnement protégé. L'unité que je visite comporte surtout des prisonniers de très longue peine ou perpétuité ("life without"= prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle). Mais pas des gros durs... plutôt des détenus vieillissants; ou au contraire de jeunes détenus qui ont l'air tout juste sortis du lycée. Un peu perdus pour beaucoup. Vulnérables. Certains sont très clairement simples d'esprit (on dit DD ici : developmentally delayed); d'autres semblent complètement normaux jusqu'au moment où il commencent à raconter leurs délires paranoïaques. Beaucoup ont un discours religieux surexaltés. La religion est le discours extérieur le mieux toléré dans la prison; quand les détenus sont punis à l'isolement, le seul objet auquel ils ont droit est la Bible (ou un autre livre religieux); la religion est le seul argument qui permet de contourner les règles de la prison (les Amérindiens ont même le droit de bâtir une sweatlodge dans un coin grillagé de la cour de la prison: il s'agit d'une sorte de petite hutte qui est utilisée comme sauna dans des rituels auxquels je ne connais rien). Et c'est aussi le discours que les détenus semblent se réapproprier le mieux - vendredi, un prisonnier d'une vingtaine d'années, grand blond à l'air un peu rêveur, dessinait un paysage de montagnes avec un soleil levant; je lui demande ce que cela représente pour lui: c'est beau; j'aime cela, c'est très beau; c'est la création de Dieu. Je ne sais pas quel est son crime. D'un côté cela m'arrange, c'est plus facile pour moi; d'un autre côté j'aimerais savoir, car il a l'air tellement puéril et inoffensif....
Je n'ai pas écrit sur mon blog depuis longtemps, alors voici une brève mise à jour.
Pour Thanksgiving, la famille de Cody est venue à Seattle : sa mère et son beau-père, de Houston, Texas, et son père de San Diego, Californie. Ils étaient frigorifiés en arrivant à Seattle depuis leurs contrées méridionales, mais Cody et moi nous trouvions que justement le temps était exceptionnellement beau à Seattle: il faisait froid, mais il n'a pas plu pendant 4 jours d'affilée, et on avait même un grand soleil. Alors le jeudi, nous avons mis la dinde de 25 livres (12,5 kg)dans le four et nous sommes partis nous promener à Carkeek Park, histoire de respirer l'air frais. C'est un parc un peu au nord de chez nous, qui descend sur le lac, et d'où on a une vue magnifique sur toute la baie (Puget Sound). Nous ne sommes pas restés très longtemps, on ne voulait pas laisser la dinde toute seule et de toutes façons il faisait un peu frisquet. Rentrés à la maison nous avons continué à préparer le repas pantagruléique: dinde monumentale, donc; sauce de "cranberries"; plat de patates douces et yams recouverts de marshmallow (ça c'est un truc de Louisiane, où a grandit la maman de Cody); pommes et navets; farce de croûtons et chair à saucisse épicée; riz au curry et aux raisins secs; haricots dans une sauce aux champignons; bon vin californien; et tartes en dessert. Autant dire que nous avons eu de quoi nous nourrir pour toute la semaine, et j'ai stocké de la dinde au congélo pour les mois d'hiver.... Alourdis par ce repas nous avons digéré en regardant des films- ils ont voulu absolument me montrer la Panthère Rose, parce que ça se passe à Paris avec un flic français un peu fou, et ils étaient morts de rire à entendre son accent en anglais. J'ai essayé de leur montrer de l'humour français après mais Le Père Noel est une ordure n'avait pas de sous-titres, et La Chèvre ça ne les a pas fait rire du tout, ils se sont endormis devant. Seul le père ce Cody a trouvé ça amusant, au moins un qui me comprend...
Le lendemain il faisait tellement beau qu'on a décidé sur le coup d'aller aux Iles San Juan. Il faut faire environ 1h30 de route, et après prendre le ferry. Comme on est parti un peu tard, on a décidé au hasard de s'arrêter sur la première île desservie par le ferry: Lopez Island, du nom d'un illustre personnage à l'histoire rocambolesque. C'était tellement beau... les îles San Juan sont un archipel tout au nord de l'Etat de Washington, à la frontière avec le Canada. C'est le point où la baie se mêle à l'océan, sous le regard des montagnes. Des phoques jouent dans les courants et regardent les passants, attendant les restes du pique nique peut-être...
Après tout cela il a fallu se remettre au travail parce que la fin du trimestre approchait déjà. Le temps est redevenu sombre alors ce n'était pas trop gênant de passer la journée à la bibliothèque... j'ai vu un film sur la prison d'Abou Ghraib, diffusé par la section d'Amnesty International à l'université. très intéressant. Le film montrait le point de vue des soldats qui avaient été placés comme gardiens de la prison, et chargés de surveiller les prisonniers interrogés par l'armée américaine. Ils expliquaient comment les sévices infligés aux prisonniers ne leur avaient semblé ni terribles ni anormaux puisqu'ils ne faisaient que répéter des pratiques utilisées lors des interrogatoires, sur ordres de la hiérarchie. En bref, le documentaire expliquait l'affaire des photos et montrait que ce n'était pas une "dérive" de la brigade de nuit (version officielle) mais la partie émergée de l'iceberg des pratiques de l'armée américaine. Le responsable chargé des interrogatoires à Abou Ghraib avait été nommé sur foi de ses bons services à Guantanamo. Il n'y avait pas de discussion à la fin du film (dommage) mais la question apparaît souvent dans les médias; c'est devenu un rituel maintenant de demander aux candidats à la présidentielle ce qu'ils pensent du "waterboarding" (simulation de noyade). L'autre jour, lors du débat républicain, Mitt Romney, le bon mormon, disait que puisque c'était pratiqué par l'armée américaine ce ne pouvait pas être de la torture, car l'armée américaine est une armée de héros justes et droits et qui défendent la liberté. Et surtout qu'on ne lui parle pas de fermer Guantanamo, parce qu'il ne tolérerait pas de voir un seul de ces terroristes dans un tribunal américain accompagné d'un avocat (souligné); ces gens là sont des ennemis de la démocratie, ils ne doivent pas avoir d'avocat. Seul McCain s'est franchement prononcé contre la torture et il s'est attiré des huées... Et puis maintenant on reparle de la question avec l'affaire des vidéos d'interrogatoires détruites par la CIA, probablement pour se protéger contre d'éventuelles poursuites.
Retour à la météo. Premières neiges samedi dernier c'est tellement beau, je joins quelques photos. Puis le lendemain déluge de pluie, qui a presque atteint le record du siècle pour la quantité de précipitations tombées en un jour. Olympia a été inondée, et plusieurs routes se sont effondrées à Seattle suite à des glissements de terrain. Enfin ce n'est pas le Bangladesh tout de même, pas trop de mal et, pour moi qui habite sur la colline, rien de plus que les pieds mouillées (j'ai eu la sagesse de ne pas prendre mon vélo ce jour là !!). Voilà pour l'actualité locale. Je ne suis pas trop ce qui se passe en fait; il y a eu des élections pour le conseil municipal, je ne sais même pas qui a gagné. Je sais seulement que le grand projet en cours c'est le tram qui doit relier bientôt le centre ville à l'aéroport. Mais le budget de son extension n'a pas été voté. Donc Seattle est une ville "écolo", qui se bat contre la voiture de manière assez rigoureuses (circulation limitée en centre ville; prix prohibitif pour le parking) mais n'offre comme système de transport en commun que des bus pépères, très sympathiques mais TRES très lents. C'est un peu comme le train au niveau national. Amtrack c'est sympa mais il faut vraiment avoir du temps à perdre, parce que les trains de marchandise sont prioritaires sur les trains de passagers, donc on met 24h pour aller à San Francisco, contre 3h en avion et 16h en voiture. Et les bus greyhound, c'est bien, pas très cher, mais c'est vraiment un repaire de marginaux pas toujours agréable à fréquenter. Du coup je suis bien contente de pouvoir utiliser la voiture de Cody, complètement en règle maintenant que j'ai passé mon permis de l'Etat de Washington. C'est complètement contraire à mes principes mais de toutes façons il n'ya pas d'autre moyen d'aller à la prison...
Je continue donc mon volontariat à la prison de Monroe; j'anime un "open studio" le vendredi après-midi; c'est un groupe ouvert où les prisonniers peuvent venir dessiner. Il n'y a pas beaucoup de matériel mais je leur montre un peu des trucs avec la peinture et les pastels. Et on discute. Ils sont très contents de pouvoir discuter avec moi qui viens d' ailleurs. Ils ont une vue très déformée du monde; la plupart sont en prison depuis très longtemps ou alors ils sont jeunes et très naïfs; leur principale source d'information sur le monde, c'est la télévision. L'autre jour ils me posaient des questions sur Paris en me parlant de Da Vinci Code. Je dois présenter mes recherches au département de sciences sociales à Paris et je ne sais même pas de quoi je vais parler... j'ai mis comme titre de ma présentation "qu'administre-t-on en prison" parce que je pense qu'il y a un double sens dans le fonctionnement même de la prison entre l'administration - gestion bureaucratique (centrée sur les stocks et les flux; les prisonniers comme nombre dont il faut ordonner les mouvements pour assurer un fonctionnement optimal) et l'administration de quelque chose au sens d'administrer un traitement, administrer la loi ou la sentence; administrer les médicaments... cela requiert un peu d'attention à l'individu. Monroe est un endroit particulier dans le système carcéral de l'Etat de Washington, peu de prisons ont comme celle ci les moyens d'apporter des soins particuliers pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. C'est un environnement protégé. L'unité que je visite comporte surtout des prisonniers de très longue peine ou perpétuité ("life without"= prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle). Mais pas des gros durs... plutôt des détenus vieillissants; ou au contraire de jeunes détenus qui ont l'air tout juste sortis du lycée. Un peu perdus pour beaucoup. Vulnérables. Certains sont très clairement simples d'esprit (on dit DD ici : developmentally delayed); d'autres semblent complètement normaux jusqu'au moment où il commencent à raconter leurs délires paranoïaques. Beaucoup ont un discours religieux surexaltés. La religion est le discours extérieur le mieux toléré dans la prison; quand les détenus sont punis à l'isolement, le seul objet auquel ils ont droit est la Bible (ou un autre livre religieux); la religion est le seul argument qui permet de contourner les règles de la prison (les Amérindiens ont même le droit de bâtir une sweatlodge dans un coin grillagé de la cour de la prison: il s'agit d'une sorte de petite hutte qui est utilisée comme sauna dans des rituels auxquels je ne connais rien). Et c'est aussi le discours que les détenus semblent se réapproprier le mieux - vendredi, un prisonnier d'une vingtaine d'années, grand blond à l'air un peu rêveur, dessinait un paysage de montagnes avec un soleil levant; je lui demande ce que cela représente pour lui: c'est beau; j'aime cela, c'est très beau; c'est la création de Dieu. Je ne sais pas quel est son crime. D'un côté cela m'arrange, c'est plus facile pour moi; d'un autre côté j'aimerais savoir, car il a l'air tellement puéril et inoffensif....
Sunday, November 18, 2007
Iraqiens à Seattle
Parmi mes nombreuses activités à Seattle : apprendre à compter des M&Ms et calculer les probabilités d'obtenir un M&M rouge - d'ailleurs grâce à ce cours de statistiques j'ai vu que les Americains ne faisaient pas la distinction entre M&M et Smarties.... ; dessiner avec les prisonniers ; enseigner le passif à des étudiants éberlués que "la gazelle est mangée par le lion" ce soit du présent - et moi d'autant plus éberluée que c'est pareil en anglais ; me disputer à la fin d'une conférence sur le multiculturalisme en France avec une vieille pied-noir du Maroc arrivée à Seattle en 1954 et qui m'a dit que si l'islam continuait à se répandre en France on aurait des filles brûlées par leurs frères jaloux chaque jour de la semaine ; admirer la représentation de la Compagnie de danse La Baraka (dont la venue fut la cause de cette conférence sur le multiculturalisme) et le gracieux mélange danse classique-hip hop, le tout sur les ondulations de la musique orientale... Bref, parmi tout ça j'ai encore trouvé le temps de paser la journée de samedi avec la famille Kmeir, des Iraqiens de Bagdad arrivés à Seattle il y a trois semaines; il étaient réfugiés en Syrie depuis déjà 3 ans; suite aux persécution dont leur communauté religieuse faisait l'objet: sabéens, ils vénèrent Saint Jean Baptiste mais ne sont ni vraiment chrétiens ni vraiment musulmans. Je ne sais pas grand chose de leur histoire personnelle, je suis avec eux pour les aider à s'installer et pour leur apprendre un peu d'anglais: alors on a passé l'après-midi à répéter "who is it?"- "this is my brother" - "what is your brother's name" - "Do you like chocolate ? And your father, he likes chocolate?" - who is it? This is my son. How old is he ? - mmm sita'acher: bon il faudra apprendre les chiffres la prochaine fois... Je transpose mes cours de français en anglais, c'est vraiment de l'immersion totale. Seule la mère parle un peu anglais. Heureusement ils ont un voisin, Hayder, qui est aussi Iraqien, arrivé il y a trois mois. Et il parle bien anglais, lui: il était interprète pour l'armée américaine avant d'être blessé, évacué à Amman, puis accueilli aux Etats-Unis. Hayder comme la famille Kmeir disent qu'ils rentreront en Iraq, dès que la situation sera stqbilisée. Abou Marwan, le père, me dit qu'avec la situation actuelle, ce n'est pas leur pays, l'Iraq n'est pas reconnaissable; quand il y avait Saddam, que Dieu ait son âme, on vivait en paix. Silence. Puis nous passons à des sujets plus joyeux lorsque la mère apporte le déjeuner: du poisson grillé. Hayder et Abou Marwan entreprennent de m'expliquer que personne ne sait cuisiner le poisson comme les Iraqiens: l'Iraq est le pays où on mange le mieux. La preuve: le nombre d'Iraqiens qui portent la bedaine (Abou Marwan tape sur son ventre pour me montrer qu'il est bien nourri), et le nombre de restaurants iraqiens qui font fortune à Damas depuis l'arrivée de leurs propriétaires comme réfugiés. Abou Marwan était orfèvre à Bagdad, mais il aimerait bien ouvrir un restaurant aux Etats-Unis.
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