Sunday, March 02, 2008

de l'assistance et de la révolution- et les Maliens en France. Extraits.

Voici, avec la permission des auteurs, des extraits de réaction suscitées par mon dernier post sur mes problèmes avec ma famille de réfugiés iraqiens. Cela n'allait vraiment pas les deux dernières semaines mais je les ai vus aujourd'hui, nous sommes allés faire un barbecue dans un parc donnant sur la baie, avec deux autres familles iraqiennes et les deux jeunes interprètes dont j'ai du parler auparavant (ceux qui travaillaient pour l'armée américaine, ont été blessés en opération et ont obtenu refuge aux Etats-Unis. Curieusement cet après midi ils jouaient à faire peur aux enfants en les attrapant et en menaçant de les exécuter pour "collaboration avec les Américains". Une sorte de mimique sordide du sort qu'ils ont fuit. Les enfants n'aimaient pas trop mais les adultes riaient bien).
Je m'égare, voici donc les extraits de débat. Contribution d'Irène:
Il me semble qu'on a là un exemple d'exil au vrai sens du terme, et c'est bouleversant. J'imagine que la difficulté qu'ils éprouvent à travailler et à apprendre la langue provient en partie d'un sentiment de renoncement à leur identité: ils débarquent après tout dans le pays qui se pose comme l'antithèse même de leur propre "civilisation".... Ca doit faire mal; vu que toutes proportions gardées, j'ai ressenti/je ressens un peu ça moi-même....!
Concernant le travail social et sa proximité au pouvoir, j'ai souvent
resenti de la suspicion en écoutant parler ma pote Lesley, travailleur
social à Chicago et à LA qui s'occupe de réfugiés (j'avais déjà prévu
de vous présenter l'une à l'autre): je la trouve souvent d'une bien
grande naïveté, mais je commence à me dire que je me trompe un peu
quand même.
On retrouve là le grand problème de l'alternative entre la révolte et
la réforme: chercher à améliorer le statut concret des gens, n'est-ce
pas les insérer dans le système même qui les a réduit à leur position
d'infériorité? mais les individus peuvent-ils survivre de mots d'ordre
révolutionnaires -surtout quand la révolution n'est pas exactement à
l'ordre du jour?
A te lire, il me semble que Foucault a donc raison quand il décrit
l'essence des résistances au pouvoir: elles lui sont inextricablement
liées. Cf histoire de la sexualité:

"là où il y a pouvoir, il y a résistance et pourtant, ou par là-même,
celle-ci n'est jamais en position d'extériorité par rapport au pouvoir.
[...] Par définition, les résistances ne peuvent exister que dans le champ
stratégique des relations de pouvoir. [...] Mais cela ne veut pas dire
qu'elles n'en sont que le contrecoup, formant par rapport à l'essentielle
domination un envers toujours passif, voué à l'infinie défaite. Les
résistances ne relèvent pas de quelques principes hétérogènes;mais elles e
sont pas pour autant leurre ou promesse nécessairement déçue. [...] C'est
sans doute le codage stratégique de ces points de résistance qui rend
possible une révolution, un peu comme l'Etat repose sur l'intégration
institutionnelle des rapports de pouvoir".

Contribution de Maël :
Intéressant ton blog sur les réfugiés... Bon avec mes amis amis maliens analphabètes je n'ai pas vu de situation similaire, because ils ont pas de papier et donc ne peuvent pas toucher d'aide, et ceux qui ont des papiers que je connais travaillent tous... En attendant de trouver un travail (et ça peut-être très long), ils sont nourris par les gens de leur village qui les accueillent, du moins ça se passait comme ça dans les anciens foyers... La mentalité des Maliens d'ailleurs en général c'est plutôt 'ici on aime pas les fainéants', il y a une forte discipline interne à la communauté surtout à l'égard des jeunes nouveaux arrivants (ça c'est une amie qui a fait son mémoire de socio sur un foyer qui me l'a dit), et ils aiment bien se foutre de la gueule des français en les traitant de fainéants et d'assistés :-) En général ils ne refusent pas de boulot parce que c'est sale, fatiguant et que c'est à dix heures de bus, puisque c'est le cas d'une large partie de mes élèves, presque tous joyeux travailleurs de force dans le batiment...
Quant au problème des gens qui s'enfoncent dans l'assistanat et le désespoir par la même occasion, c'est le vrai putain de problème. Tes Iraquiens ont l'air du prototype des gens qui s'enfoncent dans l'inaction et le ressentiment par désespoir, et ça fait de la peine à lire... C'est sans doute précisement parce qu'ils se sentent humiliés d'avoir à demander de l'aide qu'ils s'enfoncent dans cette pose sans espoir...
voilà pour la psycho à deux balles... je comprends tes remords à ressortir le mythe de l'américain from rags to riches, comme je comprends que moralement, sinon politiquement, c'est quand même mieux de dire aux gens d'essayer d'y croire et de s'en sortir dans un pays quand même pas complètement bloqué plutôt que de dire "eh oui d'après mes statistiques vous avez 70% de chances de finir alcoolique et misérable..."
Même chose pour l'humanitaire d'ailleurs. j'ai tendance comme sans doute tes anthropologues a avoir un haut le coeur face à la bonne conscience pseudo-apolitique de nombreuses entreprises humanitaires, surtout quand ça vire à la kouschnerite du type 'envoyons des bombes puis la croix-rouge au nom du droit d'ingérence, et tout ira mieux...' Ceci dit, si on qualifie la boite où je bosse d'humanitaire (ce que ni moi ni aucun des membres ne fait d'ailleurs), je vois mal comment nous serions au service d'un appareil d'état qui travaille à précariser les gens alors que nous travaillons pour leur intégration et leur régularisation (on fait aussi les papelards, l'assistance aux gens en voie d'expulsion par témoignage et aide juridique et ce genre de choses)... j'ai bien conscience que ce genre d'action n'a pas une portée immense, mais je demande en quoi une légitimation du discours subalterne faite dans un colloque d'anthropologues en auraient une, surtout quand elle n'est pas lue ni surtout faite pour être lue par ceux qu'elle est censée concernée (là, c'est l'"humanitaire" contre-attaque...) Personnellement j'ai été heureux de participer à ce genre d'action parce que je préférais me dire que j'avais fait quelque chose avec des vrais gens en allant les voir pour de vrai plutôt que de faire un débat politique entre normaliens en me disant que ça allait changer le pays... mais ce n'est pas une position non plus complètement satisfaisante...
Quant à la question générale de l'assistanat et du 'quand les gentils misérables sont moins jolis en vrais que sur la photo', c'est une question tellement difficile que j'ai peur de pas avoir grand-chose à dire là-dessus... Encore une fois je pense que tu as bien fait de dire ce que tu leur a dit, même si ça la fout a priori un peu mal avec tes principes politiques, parce que c'est une meilleure réaction morale face aux gens de dire ça plutôt que de se dire en soi "super, je vais pouvoir marquer ça dans ma thèse de socio"... En tant qu'intellos on a tous nos belles théories sur la société et la politique, surtout toi évidemment qui travaille en sciences sociales, mais je pense qu'il faut se dire une bonne chose là-dessus : une théorie qui mène à ne rien dire ou à assommer les gens qui besoin d'aide ici et maintenant, sous prétexte que ça serait de l'humanitaire complice de l'appareil d'état ou de la confirmation indue des mythes de réussite de la société libérale que de tenir des propos pour leur botter le cul, ce n'est pas une bonne théorie, et ça a même un autre nom : c'est de la branlette pour de petits trous du cul d'universitaires (ça, tu pourras la caser dans ton prochain coloc de socio).
(suite)
je voudrais encore ajouter deux trois petites choses, que tu peux mettre dans le post si tu veux ou non, c'est juste que j'aimerais bien continuer la discussion.
D'abord j'aimerais dire que certains Maliens, même clandestins, s'en tirent pas si mal que ça. C'est important de le dire je pense parce que donner une image systématiquement misérabiliste de l'immigration, ça a pour effet pervers de confirmer certaines personnes dans l'idée que l'intégration est impossible parce que trop difficile concrètement. Bon socialement parlant ils ne sont pas vraiment intégrés, ils vivent avec la menace de l'expulsion et doivent supporter des séparations très longues avec leur famille, sans jamais savoir quand ça va cesser (un de mes potes va aborder sa septième année sans voir sa famille, il n'a pas pu être là pour l'enterrement de son père ou de son petit frère, un élève d'un autre prof a quitté sa femme et sa fille il y a 8 ans...), mais économiquement certains s'en tirent pas mal, par exemple en devenant OQ dans le bâtiment, ce qui est très faisable avec le manque d'ouvriers structurel dans le secteur et la formation interne qui en résulte, avec un salaire dépassant facilement 2000-2100 euros par mois. Bon le travail est dur de l'avis général et ils ont charge de famille, mais bon ils sont quand même au-dessus du salaire médian des français, et franchement si tous les ouvriers étaient payés comme ça la France serait un pays de cocagne (avec les prix de la suisse, bon...) Parfois c'est bizarrement en passant par des secteurs réputés pourris qu'on a des opportunités, précisement parce que la fuite des français dit de souche (elle est pas belle ma souche ?) créé un manque de personnel qui créé des ouvertures... C'est pour moi un argument massue pour la régularisation des immigrés en France : certains secteurs comme le batiment sont en déficit chronique de main d'oeuvre alors que la main d'oeuvre immigrée y est déjà archisurreprésentée (95% de main d'oeuvre étrangère chez Bouygues Paris, ça ne s'invente pas...), les immigrés sont près à travailler là-dedans et en plus ce n'est pas forcément un plan d'exploitation généralisé, puisqu'on peut former les gens et leur offrir des salaires décents. En régularisant, on ne ferait qu'avoir la dignité de reconnaitre le rôle positif que l'immigration continue à jouer dans ce pays, et qu'elle va continuer à jouer : tu imagines une entreprise du nettoyage ou du batiment fonctionnant à Paris sans main d'oeuvre immigrée, et même plus précisement sans main d'oeuvre clandestine ? Tu peux aussi bien leur demander de mettre la clé sous la porte. Alors que demande le peuple ? Sarkozy, parce que l'insécurité et le désordre, c'est la faute aux bougnoules. La politique, parfois, c'est à se flinguer.
(j'ai coupé la suite sur les problèmes du jargon universitaire, non par censure mais parce que c'est un autre sujet... Si ça intéresse d'autres personnes Mael et moi pourrons rendre cette discussion publique aussi...)
Vos contributions sont les bienvenues.
Pour ma part je crois qu'entre les immigrés Maliens de France et les réfugiés iraqiens des Etats Unis, il y a la limite parfois floue entre immigration et asile; mais aussi le gouffre des positions sociales antérieures. Jenane, la mère de ma famille iraqienne, n'a jamais eu besoin de travailler. Elle venait d'une famille classe moyenne, sans plus mais loin de la précarité, elle s'est mariée, elle a eu des enfants, s'est occupée de ses enfants sans avoir à craindre pour l'avenir jusqu'à la guerre. Elle perd tout; finalement elle obtient avec sa famille l'asile aux Etats Unis, superpuissance "om al'alam" et croit voir la fin de son inquiétude, et découvre que non seulement elle va devoir travailler, mais elle va devoir travailler dans le bas de l'échelle, et sans aucune sécurité. Tomber enceinte n'était pas vraiment une manoeuvre calculée mais cela lui permet, au moins, de maintenir une source de revenus garantie le temps de sa grossesse...

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