Sunday, July 27, 2008

Monday, July 21, 2008

Vous n'imaginez pas ce qui se passe sous vos pieds.

L'été, aux Etats-Unis, c'est la saison des travaux sur les routes. L'hiver a crevassé le bitume et il a fallu attendre la fonte des neiges pour pouvoir s'attaquer sérieusement aux trous. Les réparations ont parfois l'air de scotchage. Sur certaines routes du Montana, les crevasses étaient simplement colmatées de goudron neuf et recouvertes d'une pudique bande de papier toilette (si quelqu'un sait pourquoi ils utilisent du PQ, outre les raisons purement esthétiques, je suis preneuse!). D'autres routes font l'objet de rénovations plus sérieuses, avec pour conséquence la mise hors service d'une voie de circulation. L'automobiliste se voit alors prié d'attendre son tour dans le système de circulation alternée et des files se forment sur la route. C'est ainsi que le voyageur peut faire de mémorables rencontres.
Notre petite caravane de deux voitures-9 personnes circulait sur une bande interminable de steppe ennuyeuse au possible dans les étendues plates de l'Idaho. Nous avions quitté Grand Téton et ses montagnes majestueuses au petit matin, alors qu'il faisait encore frais, et nous commencions à étouffer de chaleur. Pas de station service en vue à des kilomètres à la ronde. Rien que des collines un peu raplaties, de l'herbe jaune, et de maigres buissons pas même broutés. Soudain au milieu de la route surgit une petite figure envelopée d'un gilet jaune fluo et tendant un panneau stop. Elle vient nous informer qu'il faudra attendre environ 15mn et ensuite suivre la voiture pilote. Nous commençons un petit bout de conversation.
- Qu'est-ce qu'il y a ici, ce sont des champs ? (demandai-je incrédule ne voyant pas ce qu'on pourrait bien faire pousser là, bien que l'Idaho se vante de ses 'famous potatoes' jusque sur les plaques d'immatriculation...)
- Oh non. C'est un terrain militaire. Tout ça, vous voyez les panneaux là bas (elle me montre les panneaux 'No trespassing" sur le bord de la route). Ils font des expériences nucléaires.
- Ah bon ?
- Oui, il y a une centrale plus loin (je me souviens en effet avoir vu des indications pour 'Atomic City' sur la carte, et je découvrirai que le prochain point de civilisation où nous nous sommes ravitaillés était la première ville des Etats Unis à être éclairée à l'énergie nucléaie).
Ils font des expériences ici, sur l'accélération de l'atome, les particules vous savez... Bref, il s'en passe des choses je ne saurai pas trop vous dire ! (elle rit)
- je n'aurais jamais imaginé ! Cela ne vous fait pas peur ?
- Oh si ! En plus ce matin il y avait l'alarme qui sonnait là bas, alors j'ai dis aux gars 'Eh vous m'abandonnez pas ! S'ils évacuent m'oubliez pas au bord de la route!" Mais ce devait être juste un exercice parce que tout le monde est resté finalement.
- Vous habitez loin?
- Oui, à 100 km, mais en ce moment je dors à Arco. Je vais ramener ma caravane par ici la semaine prochaine, à cause des travaux sur la route. Vous savez ici il n'y a pas grand chose à faire.
- En effet...
- Mais en fait il se passe plein de choses... Sous nos pieds. C'est mon mari qui m'a expliqué cela. L'armée, ils ne font pas seulement des expériences nucléaires ici. Ils font aussi des exercices sous-marins. (Là je ne la crois pas, alors elle entreprend de m'expliquer) Tu vois là bas (au nord-ouest) il y a une rivière; elle devient souterraine ensuite, puis elle ressort par là (au sud est), là où il y a les cascades. Sous nos pieds c'est une rivière souterraine. Et il y a aussi un grand lac souterrain. Le plus grand lac souterrain des Etats-Unis, peut être du monde je ne sais pas. Eh bien il paraît que l'armée fait des exercices avec des sous-marins nucléaires ici, sous nos pieds.
- C'est effrayant!
- Oui, on dirait pas ! Je suis désolée de t'avoir fait peur comme ça.' conclut-elle d'un ton jovial et chaleureux.
Kaylee nous souhaite bonne route, et bonne visite au parc des Cratères de la Lune.
Je raconte l'histoire aux enfants, fière de mon scoop James-Bond. Ils ne me croient pas, je ne suis pas assez âgée pour incarner une figure d'autorité scientifique absolue, ou bien eux sont déjà trop vieux pour ne pas mettre en doute tout ce que les grands essaient de leur faire gober par amusement. Leur suspicion se fissure un peu lorsqu'on tombe, un peu plus loin sur la route, sur la maquette d'un sous-marin ornant la place d'une petite ville... Et si c'était vrai ? Il y aurait un film à faire là dessus, avec Kalyee en superhéros mi-Wonderwoman vêtue d'une cape jaune fluo, mi-Erin Brokovich armée d'une stature morale indestructible.

Yellowstone en images





Saturday, July 19, 2008

Avoir du crédit... ou pas

Aux Etats-Unis, tu n'es rien sans crédit. Car tout s'achète à crédit, et tout le monde est jugé à son crédit. Les deux sens du terme crédit (le sens matériel et le sens moral) se trouvent confondus d'une façon inattendue...
Fière d'une éducation qui m'a appris à ne pas contracter de dettes inutiles, lorsque j'ouvrai un compte en banque à Seattle pour y recevoir mes subsides de l'université, j'ouvrai en même temps un compte d'épargne. La musique monotone des récitations scolaires trottait sans doute dans quelque recoin de mon inconscient et j'adoptai un ton de fourmi choquée lorsque la banquière me suggéra de prendre un carte qui me permettrait d'acheter à crédit pour un montant de 500 dollars par mois. "Je ne comprends pas, je paye avec mon argent ou avec l'argent de la banque ?
- En fait vous devez rembourser à la fin du mois.
- Ah, c'est comme un droit à découvert?
- Non, c'est une carte de crédit. C'est très important, cela vous permet de vous constituer un historique de crédit. Cela vous ouvre droit à des crédits de montant plus élevé, mais c'est important aussi quand vous cherchez du travail.
- Pardon? Les employeurs ont accès aux informations bancaires?
- Oui bien sûr !
Je la regardai l'air dubitatif un moment puis m'excusai de ma naïveté en forçant mon accent français. J'avais lu assez sur l'Amérique à crédit pour comprendre l'histoire de l'incitation à la dette; l'accessibilité universelle des données bancaires me semblait plus louche. Après un couplet d'anti-américanisme gratuit sur le scandale de la violation de la vie privée, j'ai mis un couvercle sur l'épisode et l'oubliai assez vite.
Jusqu'à ce que ma route croise le monstre Equifax. C'était un beau matin de juillet, sur le front de mer de Seattle. Je voulais partir pour les îles Orcas et alors que je tentais de louer un véhicule chez Thrifty Rent-a-car l'Hydre est sorti de ses eaux obscures.
- Votre carte a été refusée.
- C'est étrange, j'ai de l'argent sur mon compte.
- Vous avez une autre carte de crédit?
- Vous pouvez réessayer?
- Non la carte est refusée, je ne peux rien faire. Pour toute réclamations appelez ce numéro.
Elle me tend une petite carte mentionnant le nom d'Equifax et un numéro de téléphone, m'indiquant qu'il s'agit d'une compagnie de notation du crédit. Je contournai l'Hydre grâce à ma carte française, un peu fâchée de devoir payer les frais de conversion imposés par la Société Générale mais pressée de partir vers les îles San Juan.
J'appelai aussitôt le numéro indiqué sur la petite carte blanche et tombai sur une boîte automatique me demandant d'user abusivement les différentes touches de mon clavier téléphonique sans jamais me donner en échange le privilège de parler à une entité humaine. Equifax est un monstre-répondeur automatique. Je tentai internet et après avoir entré tout plein d'informations personnelles pour qu'ils s'assurent bien de mon identité, je reçois l'information ô combien instructive que je dispose d'un prêt-hypothèque contracté en août 2002... Je ne vois pas de meilleure solution que placer un couvercle pudique sur l'absurdité de la chose (je suis arrivée aux Etats Unis en septembre 2006 et ne possède pas de maison) et profiter des vacances.
C'est sur la route d'Orcas que je tombe sur une émission de radio qui ajoute du machiavélique à l'absurde. La journaliste, partant d'une mésaventure personnelle, interroge Elizabeth Warren, professeur de droit à Harvard, sur les pratiques des companies de notation de crédit (http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=92049490). Il ne s'agit pas de banques mais de compagnies spécialisées dans l'évaluation de la crédibilité d'un usager du secteur bancaire, c'est-à-dire tout le monde et n'importe qui. L'hydre a trois têtes - Equifax, Transunion et Experian (dont la devise est ''a world of insight') - mais peu de cervelle: Warren explique qu'environ 80% des rapports individuels contiennent au moins une erreur, souvent des erreurs sérieuses. Il faut dire que les informations sont recueillies au petit bonheur la chance, récoltées auprès des banques, dans les journaux et sur internet. Les erreurs dues à des homonymes sont légion; et cela ne semble pas préoccuper les compagnies. Elles peuvent juger de la crédibilité de tout un chacun sans avoir à craindre pour leur propre crédibilité. Pire, Warren suggère que le taux d'erreur est précisément la source du profit de ces compagnies. En effet le site internet de chacune des companies propose différents produits permettant d'améliorer son score bancaire. Le commerce d'indulgences fait florès. Plus sournois encore. L'accès à son propre fichier est payant. La loi fédérale dans son majestueux souci de protéger les citoyens contre la fraude leur permet de consulter gratuitement le rapport établit sur eux, seulement une fois par an. Pour en savoir plus, veuillez entrer votre numéro de carte bancaire ainsi que la date d'expiration.
La journaliste, inquiète, demande à la prof de droit ce qu'on peut bien faire en cas d'erreur. Ecrire. Lorsqu'on rapporte une erreur la compagnie est censée mener une enquête sous trente jours. Mais cela est rare. Si le cas est grave, mieux vaut faire appel à un avocat. En cas de succès les frais de justice seront couverts.
Le processus est cependant suffisamment compliqué pour que l'hydre prospère dans son marécage. Et si jamais la compagnie reconnaît sa faute il faudra encore acheter l'accès à son fichier individuel (7 dollars par consultation) pour vérifier que les erreurs ont été corrigées. Plus il y a d'erreurs plus on se fait de l'argent. Voilà qui n'incite pas à l'intégrité. Et comme cela ne semble pas être la priorité des pouvoirs publics les compagnies continuent et quelque part en Californie de riches PDG se font édifier des toilettes en marbre.
Pendant que leurs fesses jouissent de la fraîcheur immortelle du marbre, ceux qui sont mal notés (que ce soit à tort ou à raison) se voient refouler non seulement par leur banquier, mais aussi par les employeurs potentiels (70% consulteraient les fichiers des candidats à l'embauche), propriétaires de logements, loueurs de voiture. Fatigués sans doute de l'invective, beaucoup se réfugient dans l'apathie, l'alcool et les antidépresseurs, pour oublier que leur démocratie des superlatifs est bouffée par une mafia tenace. Je tiens bon en me disant qu'en France on n'en est pas encore là.

(suite au prochain épisode: comment je n'obtiens pas l'accès à mon fichier personnel parce que je ne suis pas capable d'indiquer le montant des remboursements mensuels du prêt hypothèque contracté en mars 2008)