Monday, December 10, 2007

(photos plus tard...)

Je suis à l'aéroport de Copenhague, pour quatre bonnes heures. Je regarde les petits engins s'affairer autour des avions, c'est rigolo.
Je n'ai pas écrit sur mon blog depuis longtemps, alors voici une brève mise à jour.
Pour Thanksgiving, la famille de Cody est venue à Seattle : sa mère et son beau-père, de Houston, Texas, et son père de San Diego, Californie. Ils étaient frigorifiés en arrivant à Seattle depuis leurs contrées méridionales, mais Cody et moi nous trouvions que justement le temps était exceptionnellement beau à Seattle: il faisait froid, mais il n'a pas plu pendant 4 jours d'affilée, et on avait même un grand soleil. Alors le jeudi, nous avons mis la dinde de 25 livres (12,5 kg)dans le four et nous sommes partis nous promener à Carkeek Park, histoire de respirer l'air frais. C'est un parc un peu au nord de chez nous, qui descend sur le lac, et d'où on a une vue magnifique sur toute la baie (Puget Sound). Nous ne sommes pas restés très longtemps, on ne voulait pas laisser la dinde toute seule et de toutes façons il faisait un peu frisquet. Rentrés à la maison nous avons continué à préparer le repas pantagruléique: dinde monumentale, donc; sauce de "cranberries"; plat de patates douces et yams recouverts de marshmallow (ça c'est un truc de Louisiane, où a grandit la maman de Cody); pommes et navets; farce de croûtons et chair à saucisse épicée; riz au curry et aux raisins secs; haricots dans une sauce aux champignons; bon vin californien; et tartes en dessert. Autant dire que nous avons eu de quoi nous nourrir pour toute la semaine, et j'ai stocké de la dinde au congélo pour les mois d'hiver.... Alourdis par ce repas nous avons digéré en regardant des films- ils ont voulu absolument me montrer la Panthère Rose, parce que ça se passe à Paris avec un flic français un peu fou, et ils étaient morts de rire à entendre son accent en anglais. J'ai essayé de leur montrer de l'humour français après mais Le Père Noel est une ordure n'avait pas de sous-titres, et La Chèvre ça ne les a pas fait rire du tout, ils se sont endormis devant. Seul le père ce Cody a trouvé ça amusant, au moins un qui me comprend...
Le lendemain il faisait tellement beau qu'on a décidé sur le coup d'aller aux Iles San Juan. Il faut faire environ 1h30 de route, et après prendre le ferry. Comme on est parti un peu tard, on a décidé au hasard de s'arrêter sur la première île desservie par le ferry: Lopez Island, du nom d'un illustre personnage à l'histoire rocambolesque. C'était tellement beau... les îles San Juan sont un archipel tout au nord de l'Etat de Washington, à la frontière avec le Canada. C'est le point où la baie se mêle à l'océan, sous le regard des montagnes. Des phoques jouent dans les courants et regardent les passants, attendant les restes du pique nique peut-être...

Après tout cela il a fallu se remettre au travail parce que la fin du trimestre approchait déjà. Le temps est redevenu sombre alors ce n'était pas trop gênant de passer la journée à la bibliothèque... j'ai vu un film sur la prison d'Abou Ghraib, diffusé par la section d'Amnesty International à l'université. très intéressant. Le film montrait le point de vue des soldats qui avaient été placés comme gardiens de la prison, et chargés de surveiller les prisonniers interrogés par l'armée américaine. Ils expliquaient comment les sévices infligés aux prisonniers ne leur avaient semblé ni terribles ni anormaux puisqu'ils ne faisaient que répéter des pratiques utilisées lors des interrogatoires, sur ordres de la hiérarchie. En bref, le documentaire expliquait l'affaire des photos et montrait que ce n'était pas une "dérive" de la brigade de nuit (version officielle) mais la partie émergée de l'iceberg des pratiques de l'armée américaine. Le responsable chargé des interrogatoires à Abou Ghraib avait été nommé sur foi de ses bons services à Guantanamo. Il n'y avait pas de discussion à la fin du film (dommage) mais la question apparaît souvent dans les médias; c'est devenu un rituel maintenant de demander aux candidats à la présidentielle ce qu'ils pensent du "waterboarding" (simulation de noyade). L'autre jour, lors du débat républicain, Mitt Romney, le bon mormon, disait que puisque c'était pratiqué par l'armée américaine ce ne pouvait pas être de la torture, car l'armée américaine est une armée de héros justes et droits et qui défendent la liberté. Et surtout qu'on ne lui parle pas de fermer Guantanamo, parce qu'il ne tolérerait pas de voir un seul de ces terroristes dans un tribunal américain accompagné d'un avocat (souligné); ces gens là sont des ennemis de la démocratie, ils ne doivent pas avoir d'avocat. Seul McCain s'est franchement prononcé contre la torture et il s'est attiré des huées... Et puis maintenant on reparle de la question avec l'affaire des vidéos d'interrogatoires détruites par la CIA, probablement pour se protéger contre d'éventuelles poursuites.

Retour à la météo. Premières neiges samedi dernier c'est tellement beau, je joins quelques photos. Puis le lendemain déluge de pluie, qui a presque atteint le record du siècle pour la quantité de précipitations tombées en un jour. Olympia a été inondée, et plusieurs routes se sont effondrées à Seattle suite à des glissements de terrain. Enfin ce n'est pas le Bangladesh tout de même, pas trop de mal et, pour moi qui habite sur la colline, rien de plus que les pieds mouillées (j'ai eu la sagesse de ne pas prendre mon vélo ce jour là !!). Voilà pour l'actualité locale. Je ne suis pas trop ce qui se passe en fait; il y a eu des élections pour le conseil municipal, je ne sais même pas qui a gagné. Je sais seulement que le grand projet en cours c'est le tram qui doit relier bientôt le centre ville à l'aéroport. Mais le budget de son extension n'a pas été voté. Donc Seattle est une ville "écolo", qui se bat contre la voiture de manière assez rigoureuses (circulation limitée en centre ville; prix prohibitif pour le parking) mais n'offre comme système de transport en commun que des bus pépères, très sympathiques mais TRES très lents. C'est un peu comme le train au niveau national. Amtrack c'est sympa mais il faut vraiment avoir du temps à perdre, parce que les trains de marchandise sont prioritaires sur les trains de passagers, donc on met 24h pour aller à San Francisco, contre 3h en avion et 16h en voiture. Et les bus greyhound, c'est bien, pas très cher, mais c'est vraiment un repaire de marginaux pas toujours agréable à fréquenter. Du coup je suis bien contente de pouvoir utiliser la voiture de Cody, complètement en règle maintenant que j'ai passé mon permis de l'Etat de Washington. C'est complètement contraire à mes principes mais de toutes façons il n'ya pas d'autre moyen d'aller à la prison...

Je continue donc mon volontariat à la prison de Monroe; j'anime un "open studio" le vendredi après-midi; c'est un groupe ouvert où les prisonniers peuvent venir dessiner. Il n'y a pas beaucoup de matériel mais je leur montre un peu des trucs avec la peinture et les pastels. Et on discute. Ils sont très contents de pouvoir discuter avec moi qui viens d' ailleurs. Ils ont une vue très déformée du monde; la plupart sont en prison depuis très longtemps ou alors ils sont jeunes et très naïfs; leur principale source d'information sur le monde, c'est la télévision. L'autre jour ils me posaient des questions sur Paris en me parlant de Da Vinci Code. Je dois présenter mes recherches au département de sciences sociales à Paris et je ne sais même pas de quoi je vais parler... j'ai mis comme titre de ma présentation "qu'administre-t-on en prison" parce que je pense qu'il y a un double sens dans le fonctionnement même de la prison entre l'administration - gestion bureaucratique (centrée sur les stocks et les flux; les prisonniers comme nombre dont il faut ordonner les mouvements pour assurer un fonctionnement optimal) et l'administration de quelque chose au sens d'administrer un traitement, administrer la loi ou la sentence; administrer les médicaments... cela requiert un peu d'attention à l'individu. Monroe est un endroit particulier dans le système carcéral de l'Etat de Washington, peu de prisons ont comme celle ci les moyens d'apporter des soins particuliers pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. C'est un environnement protégé. L'unité que je visite comporte surtout des prisonniers de très longue peine ou perpétuité ("life without"= prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle). Mais pas des gros durs... plutôt des détenus vieillissants; ou au contraire de jeunes détenus qui ont l'air tout juste sortis du lycée. Un peu perdus pour beaucoup. Vulnérables. Certains sont très clairement simples d'esprit (on dit DD ici : developmentally delayed); d'autres semblent complètement normaux jusqu'au moment où il commencent à raconter leurs délires paranoïaques. Beaucoup ont un discours religieux surexaltés. La religion est le discours extérieur le mieux toléré dans la prison; quand les détenus sont punis à l'isolement, le seul objet auquel ils ont droit est la Bible (ou un autre livre religieux); la religion est le seul argument qui permet de contourner les règles de la prison (les Amérindiens ont même le droit de bâtir une sweatlodge dans un coin grillagé de la cour de la prison: il s'agit d'une sorte de petite hutte qui est utilisée comme sauna dans des rituels auxquels je ne connais rien). Et c'est aussi le discours que les détenus semblent se réapproprier le mieux - vendredi, un prisonnier d'une vingtaine d'années, grand blond à l'air un peu rêveur, dessinait un paysage de montagnes avec un soleil levant; je lui demande ce que cela représente pour lui: c'est beau; j'aime cela, c'est très beau; c'est la création de Dieu. Je ne sais pas quel est son crime. D'un côté cela m'arrange, c'est plus facile pour moi; d'un autre côté j'aimerais savoir, car il a l'air tellement puéril et inoffensif....