Sunday, January 06, 2008

Le manteau constellé d'étoiles

Bonne année à tous : que 2008 soit pour vous une année pleine de joie et de lumière. Je dois dire qu’ici cela commence plutôt bien, avec enfin un espoir du côté de la politique (Obama a remporté haut la main le caucus de l’Iowa et Huckabee surfe sur une vague évangéliste qui, selon la plupart des commentateurs, ne le portera pas bien loin car il n’a pas le soutien de l’ establishment républicain).
J’ai pris comme résolution pour la nouvelle année d’écrire davantage. En commençant par ce blog, qui va prendre, je pense, une forme plus libre.


Dimanche 6 janvier, dans le ferry revenant d’Orcas (je suis allée rendre visite à ma prof Lorna Rhodes). Je suis assise dans un rayon de soleil ; j’essaie d’écrire – mon journal de terrain décrivant mes observations à la prison de Monroe. Trônant sur l’eau calme, les îles fredonnent une fugue de lumière qui s’efface dans l’horizon des montagnes grises. Histoire de Fred : qu’a-t-il fait pour aller en prison, lui qui présente si bien, et est-il vraiment fou ? Son regard est comme une vitre claire, fragment isolé d’intelligibilité parmi l’opacité et le flou des visages cireux que je rencontre ici. Mais le chant des îles encore me distrait de mon cahier. Je me sent comme dilatée et agrandie. J’essaie d’absorber un peu de l’infini.
Et je me plonge à nouveau dans cet exercice de reconstitution de dialogues et situations. Ce que j’inscris dans ce petit cahier est-il bien exact d’ailleurs ? Mes analyses seraient-elles très différentes si je pouvais enregistrer les conversations dans la prison ?
- Vous écrivez votre journal ?
- Oui, en quelque sorte …
- Ah … et vous faites cela depuis longtemps ?
- Depuis un an environ (ce n’est pas une réponse exacte… je tiens ce journal depuis quelque mois seulement mais j’en ai eu d’autres avant, et suis-je obligée d’être exacte avec un étranger ?)
- J’ai un ami qui a tenu un journal intime pendant 50 ans : tous les jours il écrivait dans son journal. Vous écrivez tous les jours ?
- Non… une fois par semaine…
Le vieux monsieur en manteau noir s’assied en face de moi et ajuste sa casquette. Son regard gris est sévère et chaleureux à la fois. Je lui raconte que je suis étudiante, que je fais des recherches sur les prisons aux Etats Unis. Savez-vous que justement l’ancien directeur des prisons de l’Etat habite sur Orcas, c’est un bon ami.. Chase.. il est contre la peine capitale… un homme intéressant… il est à la retraite maintenant, mais il est consultant pour des prisons dans divers endroit du pays. Mais pourquoi étudiez-vous les prisons ? A mesure que le ferry s’approche de la côte le ciel devient plus sombre : c’est intéressant d’un point de vue anthropologique… vous voyez, le système carcéral américain est gigantesque, il y a des tendances beaucoup plus punitives qu’en Europe, et pourtant c’est un pays très libéral.. j’essaie de comprendre ce paradoxe, ou cette différence culturelle. J’aimerais comparer les pratiques pénales en France et aux Etats Unis.
La France. Il soulève sa casquette et passe sa main sur son crâne chauve, me parle de ses années de service en Europe, de Marseille à l’Autriche en passant par les Vosges. - Non mes parents n’ont pas fait la guerre, ils sont nés après. - Ma fille a visité Paris, il y a quarante ans, pendant les émeutes – ah Mai 68, la révolution hippie… une période intéressante… (ô combien cet héritage est toujours présent, entre déni oedipien et romantique fétichisation du pavé).
Il travaillait pour un hebdomadaire local, mais il est à la retraite depuis vingt cinq ans maintenant.
- J’ai déménagé à Seattle il y a deux semaines. Un jour, c’était au mois de novembre, je prenais un bain dans ma maison à Orcas et ma femme m’a dit qu’elle voulait déménager. Comment, cela fait plus de vingt ans que j’habite ici ? où déménager ? Peu importe, il faut aller ailleurs. Elle avait raison, cette maison était trop compliquée à entretenir. Mon père l’avait construite dans les années 20 ou 30. Et il y a un terrain de 6 acres. C’est beaucoup de travail. Alors j’ai décidé de vendre la maison et d’acheter un condo à Seattle. En deux semaines nous avons déménagé ! Mais je ne connais personne à Ballard… un ami m’a dit qu’il fallait environ six mois pour se sentir bien à Seattle, on verra…
Le haut parleur annonce l’arrivée du ferry à Anacortes. Assurez-vous que vous n’avez rien oublié à bord. Les piétons sont priés de débarquer par le ponton supérieur. Enchantée d’avoir fait votre connaissance, je m’appelle Yasmine. – Garry Evans.
Sa longue silhouette s’avance lentement vers le ponton pendant que je ramasse mes papiers.

En sortant du parking d’Anacortes. Il pleut. Un homme barbu appuyé sur une canne fait signe : je reconnais un des passagers du ferry et m’arrête. Merci merci c’est inespéré c’est tellement gentil à vous de vous arrêter j’étais dans le ferry je vais à Commercial Avenue c’est incroyable tout de même qu’il n’y ait pas de bus le dimanche il y en a tous les jours de la semaine vraiment ce n’est pas pratique vous voyez je suis resté bloqué – comment ça marche votre ceinture de sécurité, ah voilà… c’est parti. Il souffle. Il sent l’alcool. Est-ce bien raisonnable de prendre en stop un clochard ? Il n’est pas bien menaçant. La divinité se déguise en mendiant pour visiter les mortels.
Oui c’est surprenant qu’il n’y ait pas de bus le dimanche c’est tellement touristique les San Juan… Mais il faut dire qu’en hiver il n’y a pas grand monde. Pourtant ces îles sont magnifiques en été mais aussi en hiver avec la pluie et le vent vous voyez c’est un décor de théâtre absolument parfait… dramatique.. oui je travaille dans le théâtre, je suis scénographe… ah vous êtes française je l’avais deviné vous avez un accent… sur ces îles on pourrait mettre en scène En attendant Godot vous savez cette pièce de Samuel Beckett l’Irlandais qui écrivait en français…
Je ne saurai jamais comment il entendait mettre en scène Godot, cette pièce de l’absurde et du vide, dans ce paysage océanique. Godot me semble urbain. Je l’aurais fait jouer dans un jardin public, entre les toboggans et les animaux à ressort. Et dans l’immensité des San Juan, je voyais une rêverie existentielle comme Peer Gynt. Mais mon passager était arrivé à destination. Il m’a remercié chaleureusement, et m’a quittée d’un « God bless you » : je me suis sentie protégée et j’ai repris la route vers Seattle en me réjouissant de ces rencontres inattendues.

1 comment:

Zizou From Djerba said...

Yasmine cherie !
Bonne Annee !
Je suis de retour ! on se voit des que tu peux ! je cherche un logement donc la periode est un peu dure mais ca finira par passer :-)
Bisous !