Sunday, November 18, 2007

Iraqiens à Seattle

Parmi mes nombreuses activités à Seattle : apprendre à compter des M&Ms et calculer les probabilités d'obtenir un M&M rouge - d'ailleurs grâce à ce cours de statistiques j'ai vu que les Americains ne faisaient pas la distinction entre M&M et Smarties.... ; dessiner avec les prisonniers ; enseigner le passif à des étudiants éberlués que "la gazelle est mangée par le lion" ce soit du présent - et moi d'autant plus éberluée que c'est pareil en anglais ; me disputer à la fin d'une conférence sur le multiculturalisme en France avec une vieille pied-noir du Maroc arrivée à Seattle en 1954 et qui m'a dit que si l'islam continuait à se répandre en France on aurait des filles brûlées par leurs frères jaloux chaque jour de la semaine ; admirer la représentation de la Compagnie de danse La Baraka (dont la venue fut la cause de cette conférence sur le multiculturalisme) et le gracieux mélange danse classique-hip hop, le tout sur les ondulations de la musique orientale... Bref, parmi tout ça j'ai encore trouvé le temps de paser la journée de samedi avec la famille Kmeir, des Iraqiens de Bagdad arrivés à Seattle il y a trois semaines; il étaient réfugiés en Syrie depuis déjà 3 ans; suite aux persécution dont leur communauté religieuse faisait l'objet: sabéens, ils vénèrent Saint Jean Baptiste mais ne sont ni vraiment chrétiens ni vraiment musulmans. Je ne sais pas grand chose de leur histoire personnelle, je suis avec eux pour les aider à s'installer et pour leur apprendre un peu d'anglais: alors on a passé l'après-midi à répéter "who is it?"- "this is my brother" - "what is your brother's name" - "Do you like chocolate ? And your father, he likes chocolate?" - who is it? This is my son. How old is he ? - mmm sita'acher: bon il faudra apprendre les chiffres la prochaine fois... Je transpose mes cours de français en anglais, c'est vraiment de l'immersion totale. Seule la mère parle un peu anglais. Heureusement ils ont un voisin, Hayder, qui est aussi Iraqien, arrivé il y a trois mois. Et il parle bien anglais, lui: il était interprète pour l'armée américaine avant d'être blessé, évacué à Amman, puis accueilli aux Etats-Unis. Hayder comme la famille Kmeir disent qu'ils rentreront en Iraq, dès que la situation sera stqbilisée. Abou Marwan, le père, me dit qu'avec la situation actuelle, ce n'est pas leur pays, l'Iraq n'est pas reconnaissable; quand il y avait Saddam, que Dieu ait son âme, on vivait en paix. Silence. Puis nous passons à des sujets plus joyeux lorsque la mère apporte le déjeuner: du poisson grillé. Hayder et Abou Marwan entreprennent de m'expliquer que personne ne sait cuisiner le poisson comme les Iraqiens: l'Iraq est le pays où on mange le mieux. La preuve: le nombre d'Iraqiens qui portent la bedaine (Abou Marwan tape sur son ventre pour me montrer qu'il est bien nourri), et le nombre de restaurants iraqiens qui font fortune à Damas depuis l'arrivée de leurs propriétaires comme réfugiés. Abou Marwan était orfèvre à Bagdad, mais il aimerait bien ouvrir un restaurant aux Etats-Unis.

Thursday, November 08, 2007

Waterboarding and homelessness

Aujourd'hui le Congrès américain a confirmé la nomination de Michael Mukasey comme "attorney general", équivalent local de ministre de la justice, ou plutôt, sous l'administration Bush, ministre de la torture et de la détention illimitée sans procès. Mukasey remplace Alberto Gonzales, valet de président embrouillé dans des affaires troubles de révocation abusive de procureurs fédéraux, révocations sur lesquelles il a été incapable de s'expliquer car il ne "se souvenait pas" d'avoir pris la décision, pourtant il est formel, c'est bien lui qui a pris la décision. Typique du style à la mode en ce moment. Comme Bush qui, à un journaliste qui lui demande sa définition de la torture, répond que c'est écrit dans la loi (voir Le Monde du 20 octobre: Dans sa conférence de presse, mercredi, M. Bush a été interrogé sur la torture. « Quelle est votre définition du mot torture », a demandé un journaliste. « De quoi ? » a sursauté le président. « Le mot torture, quelle est votre définition ? », a répété le journaliste. « C'est défini dans la loi des Etats-Unis - et nous ne torturons pas », a assuré le président. Mais « votre définition à vous ? » a insisté le journaliste. « Quoi que ce soit qui figure dans la loi », a rétorqué M. Bush. )
La torture, justement. Mukasey, en qui tout le monde voulait voir un juge intègre, respectueux des lois et éloigné des manoeuvres politiques, a justifié le simulacre de noyade (waterboarding) comme une méthode d'interrogatoire légitime, qui ne constitue pas une forme de torture - d'ailleurs puisque ceci est pratiqué par les Etats-Unis, ce n'est pas de la torture: on ne torture pas aux Etats-Unis, c'est interdit par la loi. Vous n'imaginez pas à quel point le syllogisme perverti est devenu commun dans le discours politique. Vous connaissez l'histoire du gruyère ? Dans le gruyère il ya des trous; plus il y a de gruyère, plus il y a de trous; mais plus il y a de trous, moins il y a de gruyère; donc plus il y a de gruyère moins il y a de gruyère....
Bref l'autre info du jour, trouvée dans le New York Times, c'est ce reportage sur les vétérans de la guerre en Iraq qui, complètement déconnectés de la vie quotidienne américaine à la fois sur le plan psychologique et sur le plan socio-économique, commencent à arriver en masse dans les foyers de sans-abris, au point que la situation devient alarmante. Selon une association basée à Seattle, les vétérans qui constituent 11% de la population représentent 26% des sans-abris dans le pays, et le phénomène paraîtrait encore plus accentué pour les vétérans d'Iraq. D'après un autre article du NYT, édito sur les lacunes de la couverture maladie pour les vétérans (Malgré le recul du nombre de vétérans dans la population active, le nombre des vétérans non-assurés a augmenté de 290 000 entre 2000 et 2004, du fait d'une érosion continue de la couverture maladie garantie par l'employeur, et d'un resserrement des critères d'éligibilité à la couverture spéciale pour les vétérans.
Fin de la revue de presse. J'aime ce pays malgré tout... ce matin les arbres du parc Ravenna, véritable forêt que je traverse sur mon chemin vers l'université, s'éveillaient à peine, encore enveloppés de leurs draps de brouillard, et sitôt le voile levé, les montagnes apparurent dans le scintillement du lac. Seattle est la plus belle ville du monde; lorsque le soleil surprend sa pudeur et la révèle hors des brumes.

Tuesday, November 06, 2007

Planter des arbres et des poèmes pour sauver la planète

Week end bien chargé. Samedi, je suis allée planter des arbres dans un parc de Seattle, une vraie forêt en plein centre ville. C'était le Earthcorps day, le jour des volontaires de la terre. Alors il y avait plein de jeunes et de moins jeunes, tous avec un joli t-shirt et un café offert par Starbucks; il y avait même le maire et un congressman qui ont fait un discours galvanisant nous disant que nous étions l'avenir du monde; que chaque arbre que nous plantions absorbera une tonne de dioxyde de carbone dans sa vie et que c'est avec les gouttes d'eau qu'on fait l'océan. Alors nous avons tous retroussés nos manches, très enthousiastes d'autant que, pour une fois, il ne pleuvait pas et il faisait même assez doux... et nous avons planté des arbres et arraché du lierre, nous arrêtant de temps à autre pour admirer la pluie de feuilles colorées qui nous tombait du ciel à la moindre brise.

Dimanche, c'était la version activisme contre la guerre en Iraq. Invitée par ma copine Amel qui connaît à peu près tous les Arabes et pro-Arabes de la région, je suis allée à un déjeuner d'activistes à Olympia, où étaient invités Dahr Jemail, un journaliste américain auteur d'un livre édifiant sur les premiers mois de la guerre en Iraq, et Souhair Hammad, poète américaine d'origine palestinienne, une femme absolument extraordinaire (extrait sur youtube). Avant d'assister à leur intervention en public, nous avons discuté de l'activisme aux Etats-Unis, des risques de guerre en Iran (risques très sérieux et en même temps complètement absurdes compte-tenu de l'état de l'armée et de l'économie américaine), des manières de mobiliser les foules via la culture populaire (c'est le rayon de Souhair Hammad; diva du slam) et du rôle des vétérans.
Après tout ce bouillonnement il a bien fallu que je rentre à Seattle et à mes occupations quotidiennes... mais j'ai décidé de faire partager davantage mes informations sur internet, pour que les gens sachent au moins... Alors voici un extrait, traduit par mes soins, du bouquin de Dahr Jamail "Beyond the green zone: Dispatches from an unembedded journalist in occupied Iraq"
p:62, à Baghdad, décembre 2003, devant une école bouclée par l'armée américaine.

"Plus près de l'école, nous avons croisé trois Humvees équipées de haut-parleurs: Un traducteur iraqien donnait des instructions à la foule rassemblée devant l'école : " vous ne devez pas participer à la manifestation qui aura lieu ici demain ! Dispersez vous et allez-vous en ! "
J'ai finalement appris ce qui se passait par un soldat américain du Wisconsin, qui a demandé l'anonymat. "Apparemment quelques élèves de l'école ont tenu une manifestation pro-Saddam hier et la police iraqienne était là pour attraper les gamins qui jetaient des pierres sur la patrouille [americaine] qui passait. A part cela, ce n'était pas violent, personne n'a été blessé". J'ai demandé s'il y avait eu des coups de feu. "Non; quelques enfants jetaient des pierres; c'est tout." J'ai poussé encore mes questions, demandant s'il savait quels enfants je pouvais interroger à propos de la veille.
"Quelques policiers iraqiens ont pris des photos hier. Ils sont dans l'école en ce moment pour identifier les enfants sur les photos". Je fus stupéfait par sa réponse, et par le fait que les soldats américains soient impliqués dans la détention d'écoliers. "Quiconque se pose contre les intérêts américains ici sera arrêté."

Et Souhair Hammad: http://www.youtube.com/watch?v=LFbE8RBhSDw